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de leur tristesse. Un d’eux m’a demandé des nouvelles. — Je n’en sais aucune, ai-je répondu. — On dit que le roi a couché botté et habillé sur la paille dans un méchant hameau ? — Oui, ai-je dit, c’est mon roi. — Et M. le Dauphin aussi ? — Oui, ai-je répondu, c’est le fils de mon roi. — On me marque que M. le duc de Penthièvre a fait de même ? — Oui, me suis-je écrié, il est du sang de nos rois[1]. »

Ces provocations à l’esprit républicain n’apaisaient pas les esprits ; aussi peut-on juger de l’accueil qui fut fait aux propositions pacifiques dont d’Argenson avait pris, dès le lendemain de Fontenoy, la généreuse et un peu naïve initiative. On ne voulut pas même en entendre la lecture jusqu’au bout, et je crois, en vérité, qu’il n’y eut qu’un seul Hollandais qui fut en humeur d’y prêter l’oreille. Ce fut le ministre des états-généraux à Paris, l’ami de cœur de d’Argenson, le brave Van Hoey toujours prêt, dans ses sentimens évangéliques, à faire bon marché de l’intérêt et peut-être aussi de l’honneur de son pays. Celui-là s’associa, cette fois encore, à la proposition d’Argenson, mais avec une exagération dont l’effet eût été suffisant pour détruire tout son crédit sur ses maîtres, s’il en eût encore conservé quelque ombre. Il semblait vraiment, dans son enthousiasme pour la modération du roi de France, oublier que c’était le sang de ses compatriotes qui avait coulé à Fontenoy. — « Puisse, écrivait-il à d’Argenson avec une tendre effusion, le Dieu des armées, combattre toujours pour le meilleur et le plus pacifique des rois ! Puissent les plus grandes victoires rendre toujours sa modération plus éclatante que jamais ! Puisse-t-il triompher plus que jamais de la vengeance et des autres appâts séduisans de la guerre ! Oui, il faut que notre roi dompte tous ces monstres ! — Votre roi, me direz-vous ? Oui, mon roi, car ses vertus lui ont soumis, pour jamais, tous les bons citoyens de la terre… Mais je reviens de mon extase pour embrasser Votre Seigneurie mille fois. J’admire sa sagesse. Dieu veuille toujours bénir son ministère pacifique et le rendre toujours plus cher au roi et plus respectable aux hommes. Adieu, mon cher marquis, aimez-moi, car je vous aime autant qu’il est possible d’aimer. »

En recevant cette véritable déclaration d’amour, d’Argenson ne put s’empêcher d’en exprimer quelque surprise. — « Voilà, dit-il, un vrai Pater noster. Mais quel regret pourtant de ne pouvoir traiter par l’intermédiaire d’un homme qui a des intentions si droites, tant de zèle pour la gloire et les avantages de sa patrie ; cela le met dans le même état où était, dans la république romaine, P. Caton,

  1. La Ville à d’Argenson, 14-17-18-20 mai 1745. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.) — Pol. Corr., t. IV, p. 172-173.