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attendant, d’heure en heure, la nouvelle d’une victoire dont ils se partageaient d’avance les fruits. Foudroyés par ce retour de fortune inattendu, ils ne purent dissimuler d’abord leur consternation, puis leur dépit et même leur fureur ; et l’on vit le moment où l’âpreté de leurs reproches mutuels mettait en péril l’alliance de leurs gouvernemens.

À ces divisions qui sont le fléau de toutes les coalitions se joignait le contre-coup des discordes civiles, qui, de tout temps, travaillaient les Provinces-Unies. C’était, comme au jour des de Witt, la vieille querelle de la bourgeoisie républicaine et des partisans du stathoudérat. Depuis un siècle, toutes les fois que le pouvoir suprême étant vacant, la sécurité ou l’honneur national était mis en cause, les amis secrets ou déclarés de la maison de Nassau accusaient l’incapacité jalouse de leurs adversaires républicains, et ils avaient beau jeu, cette fois, le choix malheureux du prince de Waldeck leur fournissant un grief dont ils ne se faisaient pas faute de tirer parti. De leur côté, les républicains n’allaient-ils pas jusqu’à insinuer que Kônigseck étant l’ami du prince de Nassau, il avait laissé perdre la bataille tout exprès pour opérer une réaction en sa faveur ! Aussi dit-on que si ce vieux et digne général avait paru dans une ville de Hollande, sa vie eût été menacée.

L’agitation passant toujours assez vite dans les pays républicains des conseils politiques sur la place publique et dans la rue, on put craindre le retour de quelqu’un de ces mouvemens populaires qui avaient si souvent ensanglanté les cités flamandes. — « On a doublé les gardes hier soir, écrivait l’abbé de La Ville le 14 mai, de crainte que la défaite des alliés en France ne servit de prétexte aux malintentionnés pour exciter quelques rumeurs séditieuses parmi le peuple. » — Et, quelques jours après : — « Un magasin de poudre a sauté la nuit dernière, circonstance qu’on a présentée au peuple comme une des preuves démonstratives que le sort de la patrie est confié à des poltrons. Enfin, on ne néglige rien de tout ce qui peut occasionner ici une fermentation assez vive pour opérer une révolution dans le gouvernement. » — La Ville ajoutait qu’il était obligé de s’observer dans son langage et de ne tenir que des propos modestes, pour ne pas « aigrir » la sensibilité hollandaise.

Seulement il s’en fallait que tous les Français, habitant encore la Hollande, s’astreignissent à cette règle de prudence. Habitués dans ce pays de liberté à une grande franchise de parole, et objets naguère de menaces insultantes, ils prenaient tout haut leur revanche avec une fierté bruyante. — « Je suis arrivé ici, écrit d’Amsterdam un négociant français, le 17 de mai : ubi fletus et stridor dentium. Je suis entré chez le libraire où je tiens ordinairement séance ; j’y ai trouvé deux de nos ennemis consternés et j’ai joui