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On me reprochera peut-être, et j’ai en vérité moi-même quelque honte de m’arrêter à ces misères qui se mêlent à toutes les renommées, à ces ombres qui font tache dans l’éclat des plus vives lumières ; mais la critique, de nos jours, a des exigences impitoyables, elle veut tout connaître et ne laisse pas éblouir ses regards même par l’auréole de la renommée. Consolons-nous en pensant que ces faiblesses sont de tous les temps et de tous les pays, et que de plus grandes encore se révélaient au même moment, avec un plus triste éclat et moins de ménagement, dans le camp des ennemis de la France. Là on ne se disputait pas pour savoir quelle part devait revenir à chacun dans l’honneur de la victoire, mais bien quelle part de tort devait être attribuée à chacun dans la défaite commune, et c’était entre les alliés (comme il arrive dans toutes les coalitions, surtout quand la fortune les maltraite) un échange de récriminations amères. Les Anglais attribuaient tout le mal à la lâcheté des Hollandais, qui avaient reculé et quitté la partie dès la première heure ; et ceux-ci, pour ne pas demeurer en reste, accusaient l’imprudence de la manœuvre conseillée par Königseck et exécutée par Cumberland, et qui, disaient-ils, après quelques momens d’un succès apparent, avait fini par faire prendre l’armée entière dans une souricière. La querelle se prolongea pendant toute la durée de la retraite, et elle devint si vive que, dans les quartiers où les troupes des diverses nations se trouvaient rapprochées, il y eut des duels entre les officiers et des rixes au cabaret entre les soldats. Puis, quand il fallut rédiger une relation commune de la bataille, les trois généraux ne purent tomber d’accord sur la manière de présenter les faits, et, de guerre lasse, chacun resta libre d’en rendre compte, comme il l’entendait, à sa cour. M. d’Arneth nous a conservé le rapport envoyé par Königseck à Marie-Thérèse, et (ceci devient tout à fait curieux) on y remarque justement la même lacune que dans le compte-rendu du ministre français : la manœuvre capitale qui occupait toute l’Europe y est discrètement voilée sous des termes ambigus et presque passée sous silence. Königseck, à qui on reprochait de l’avoir imaginée, puisqu’on définitive elle n’avait pas réussi, s’en justifiait à Vienne pendant que Maurice trouvait qu’à Paris on en faisait trop de bruit[1].

Des camps la querelle passa au congrès des diplomates, qui restaient encore en permanence à La Haye autour de Chesterfield,

  1. D’Arneth, t. IV, p. 411-415.