Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela les honneurs et les richesses, et ce qui peut flatter ceux qui ont de l’élévation. Lorsqu’on ôte ce point de vue aux hommes vertueux et qu’ils ne peuvent l’acquérir que par la bassesse, tout est dit… » Quant au maréchal de Broglie et à sa famille, la seule allusion qui est faite à leur demande dans cette lettre est celle-ci : — « Ce qui m’arrive là-dessus, pourra servir de consolation à Mme de Broglie, au cas que vous ne lui accordiez pas de grâces pour ses enfans. » — Peut-être la veuve de son ami attendait-elle de son intervention quelque consolation plus sensible que celle d’être associée au traitement dont il croyait avoir à se plaindre[1].

Quoi qu’il en soit, il avait le droit de tout demander et, sans élever si haut la voix, il était sûr de tout obtenir. Il eut, ou du moins on lui promit, non-seulement le gouvernement de Strasbourg, mais celui de l’Alsace tout entière, et, quant aux enfans du maréchal de Broglie, ils durent se contenter d’une pension de 1,000 écus chacun, sur la cassette royale. C’était l’épée à la main et sur les champs de bataille que le nouveau duc de Broglie devait reconquérir plus tard la survivance de son père.

Maurice rendit compte du succès de cette petite négociation à sa sœur la princesse de Holstein, dans des termes qui font voir qu’il avait exactement supputé les avantages de toute nature attachés à l’honneur qu’il sollicitait, et que l’arithmétique lui était plus familière que l’orthographe : — « Je ne vous entretiendrai pas, lui disait-il, de la victoire que j’ai remportée le 11 de ce mois sur les alliés avec l’armée de Sa Majesté très chrétienne qui était présente, et qui a été des plus complètes. Les Anglais y ont été étrillés comme des chiens courtauds ; l’affaire a duré neuf heures et, quoique je sois mourant, j’ai soutenu cette journée avec vigueur. Le roi m’a marqué sa reconnaissance : il m’a donné le commandement d’Alsace qui vaut 120,000 livres ; 40,000 livres de rente en fonds de terre ; les grands honneurs du Louvre comme aux princes lorrains ; j’ai avec cela de mes pensions et régimens, 140,000 livres : ainsi, je jouis des grâces de la cour, environ 300,000 livres, ce qui peut s’évaluer sur le pied de 30,000 ducats de Saxe avec les agrémens, tels que le gouvernement d’Alsace, qui fait l’état d’un souverain[2]. »

  1. Le maréchal de Saxe au comte d’Argenson, 20 mai 1745. (Correspondances diverses. — Ministère de la guerre.)
  2. Le maréchal de Saxe à la princesse de Holstein, sa sœur, 31 mai 1745. — (Correspondance conservée à la Bibliothèque de Strasbourg.) — Cette lettre, dont l’authenticité ne peut être douteuse, donne pourtant matière à quelque difficulté. En fait, le maréchal de Saxe n’a jamais joui, à aucune époque, ni du gouvernement de l’Alsace ni du gouvernement particulier de la ville de Strasbourg (qui en était distinct en principe, quoique les deux postes fussent souvent occupés par la même personne). Son nom ne figure dans aucun des annuaires ni sur aucune des listes qu’on a conservées des principaux fonctionnaires d’Alsace, et le maréchal de Coigny fut gouverneur de la province jusqu’à sa mort, arrivée en 1760. Il faut donc croire que la promesse dont parle la lettre de Maurice (comme d’une chose déjà accomplie) ne fut pas tenue. On trouva probablement quelque compensation équivalente à lui accorder, car de l’humeur dont il vient de se montrer dans la citation précédente, il n’aurait pas enduré avec patience un manque de parole qui l’aurait frustré d’un avantage sur lequel il avait compté.