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avec un billet dont le ton seul attestait leurs anciennes relations d’amitié : — « Le maréchal de Broglie est mort aujourd’hui, à deux heures après-midi, dans la confiance que vous aiderez sa veuve et ses enfans. Il est temps, agissez, mon cher frère ; il ne faut pas vous en dire davantage. J’ai l’honneur d’être avec beaucoup de respect, monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur[1]. »

Quelque diligence que fit l’abbé, quand son courrier arriva au camp, la nouvelle de l’agonie, sinon de la mort du maréchal de Broglie, circulait déjà, et comme on était en train de chercher des récompenses dignes du service que Maurice venait de rendre à l’état, l’idée de disposer en sa faveur de la place importante qui allait se trouver vacante était venue à plus d’un esprit. Maurice, qui était informé de ce projet, y avait volontiers donné son adhésion ; aussi, dès qu’il eût pris connaissance de la demande que lui recommandait son ami mourant, sa pensée fut de se faire confirmer tout de suite l’espérance qu’on lui avait donnée, afin que, le fait étant accompli, il n’eût point (c’est son expression) à tromper la confiance dont le maréchal de Broglie l’avait honoré. Mais, à sa grande surprise, et, à son grand mécontentement, il se trouva que l’affaire n’allait pas toute seule et qu’une grave objection s’opposait à ce qu’il fût désigné pour un gouvernement ; il était protestant : un gouverneur avait un serment religieux à prêter en entrant en fonctions et des attributions de justice à rendre aussi, au nom de Dieu, ce qui, dans les idées du temps, ne pouvait convenir à un hérétique. Cette difficulté inattendue lui causa beaucoup d’impatience, et il s’en expliqua avec le comte d’Argenson d’une manière très vive et même avec une certaine éloquence : — « On m’a dit hier, écrit-il, que des obstacles insurmontables se rencontrent pour que je pus (sic) jouir de pareilles grâces, et j’en suis très affligé. J’ai toujours regardé le gouvernement d’Alsace comme une retraite convenable, et même la seule que je pusse désirer pour l’état qu’elle me donnerait ; mais je crois bien que je me suis trop flatté quand j’ai présumé que la cour pousserait ses bontés et sa confiance jusqu’à ce point-là… Je pense, et je crois voir à quoi m’en tenir, par rapport à mon établissement en France ; comme attaché à la gloire du roi, je prendrai la liberté de vous faire observer, monsieur, pour le bien du service de Sa Majesté, que les grâces militaires qu’on accorde dans les autres monarchies aux personnes d’un certain ordre sont toujours brillantes ; les chétives républiques même font des efforts pour les acquérir,.. leur reconnaissance est éclatante, et elles prodiguent pour

  1. Le maréchal de Broglie au roi : Broglie, 20 mai 1745. — L’abbé de Broglie au maréchal de Saxe, Broglie, 22 mai 1745. (Ministère de la guerre. — Correspondances diverses.) — Papiers de famille.