Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/492

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sexes, aussi nombreux que bruyans, que le brillant seigneur comptait à l’armée autant qu’à Versailles. Un peu de mauvaise humeur se glissa alors dans l’esprit de Maurice (on en aurait conçu à moins), et des vers tels que ceux-ci, qu’il n’avait peut-être pas lus avec attention, durent prendre à ses yeux un sens nouveau :


Richelieu qu’en tous lieux emporte son courage,
Ardent, mats éclairé, vif à la fois et sage,
Favori de l’Amour, de Minerve et de Mars,
Richelieu vous appelle ; il n’est plus de hasard.
Il vous appelle : il voit d’un œil prudent et ferme
Des succès ennemis et la cause et le terme,
Il vole, et sa vertu secondant son grand cœur,
Il vous marque la place où vous serez vainqueur.


On n’aurait pu dire en termes plus clairs, et sous un voile poétique moins épais, que tout était perdu sans Richelieu, et que, par lui aussi, tout avait été sauvé, et c’est ce qu’on chantait aussi couramment dans des couplets comme celui-ci :


Mais quel est cet autre guerrier
Que la gloire environne ?
C’est Richelieu que le laurier
Joint au myrte couronne.
En grâce, en valeur, en vertu
Nul autre ne l’égale.
Serait-ce Hercule ? Je l’ai vu
Filer aux pieds d’Omphale.
(Chanson sur l’air : Lisette est faite pour Colin.)


Il était dur pour un vainqueur, déjà à demi mort, de se voir ainsi dépouillé de sa gloire devant la postérité par les échos de la renommée.

La contrariété de Maurice dut être d’autant plus vive qu’on faisait circuler au même moment dans l’armée des copies d’une lettre écrite par le dauphin à sa femme, où le prince, racontant le seul incident de la journée dont il eût été personnellement témoin, paraissait encore sous le charme de l’ardeur entraînante de Richelieu, et témoignait l’enthousiasme naturel à la jeunesse pour tout ce qui brille et fait du bruit. L’affaire parut assez grave pour que le roi, qui avait jugé les faits avec plus de sang-froid, crut devoir s’en mêler lui-même, afin de ne pas laisser plus longtemps l’opinion s’égarer. Il demanda avoir la lettre du dauphin, et, sans la blâmer ouvertement, fit en sorte qu’on cessât de la répandre et d’en parler, à ce point que le prudent Luynes lui-même n’a pas osé insérer dans son journal la copie qu’il en avait faite. Les amis