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et quelques-uns de ses hommes d’état croient voir déjà dans l’alliance russe la chance de quelque dédommagement glorieux en Europe. Le chancelier d’Autriche seul, il faut l’avouer, représente l’équilibre et la paix. Jusqu’en 1825, par sa dextérité et son ascendant de diplomate heureux dans les congrès, il a réussi à peu près à détourner la crise ; à partir de la mort de l’empereur Alexandre, il sent que les événemens lui échappent, que la « grande alliance, » à laquelle il reste toujours attaché, va se perdre dans les affaires d’Orient, et, dès lors, il n’est plus occupé qu’à s’affermir sur son terrain, à le disputer pied à pied, à s’y retrancher, à défendre contre tout le monde ce qu’il appelle le droit et le bon sens. Il refuse de s’associer au protocole du 4 avril 1826 entre l’Angleterre et la Russie ; il refuse bien plus encore d’entrer dans la triple alliance du 6 juillet 1827, qui est une étape de plus dans les complications. Il se révolte contre « l’épouvantable catastrophe » de Navarin, qui inaugure l’exécution. A chaque progrès de la politique nouvelle, il oppose une protestation en accentuant ses dissidences. Ce n’est pas qu’il ait aucune illusion sur ceux qu’il paraît protéger, les Turcs : il n’a pas plus d’illusion sur les Turcs que sur les Grecs; il ajoutera tout au plus que, barbares pour barbares, il préfère encore les chrétiens aux musulmans ; mais ce qu’il soutient à Constantinople, c’est la souveraineté légale d’une puissance menacée dans ses droits; ce qu’il combat dans la Grèce insurgée, c’est la révolution ; ce qu’il voit dans la politique d’intervention entre les insurgés et le souverain, c’est la déviation des principes conservateurs, c’est l’esprit d’aventure et de subversion qui se déchaîne. Il résiste au mouvement, il s’en tient à sa politique, « la seule droite et positive, » selon lui : « Je prétends n’avoir qu’un mérite, dit-il au moment où tout va s’engager, c’est de savoir ce que nous voulons. A Saint-Pétersbourg, on voudrait bien faire ce qu’on ne peut pas; à Londres, on serait tenté de vouloir ce que la volonté seule ne suffit pas à réaliser, et, à Paris, on ne sait pas bien ce qu’on veut. Voilà le tableau exact de la situation. Cela n’est pas flatteur pour les contemporains et ce n’est pas une position bien enviable pour moi, malgré toute la beauté du rôle que je prends. »

Le rôle que M. de Metternich a pris dès la première heure, il le garde à travers tout, manœuvrant avec une singulière souplesse entre Constantinople, Saint-Pétersbourg, Londres et Paris, variant son langage et sa diplomatie selon la marche des choses, selon les gouvernemens à qui il a affaire. A Londres, il ne cesse de batailler contre Canning, son grand antagoniste, en qui il ne voit qu’un dangereux novateur, un révolutionnaire, qu’il accuse d’avoir le premier, par ses fantaisies libérales, ouvert à la Russie la voie des interventions