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les deux autres, Isabelle de Brienne et Isabelle d’Angleterre. Sa jalousie, tout asiatique et orientale, les tint enfermées comme dans un harem, ne permettant à personne, pas même à leurs parens, de les aller voir sans son autorisation. Toutes deux moururent en couches, et l’on en fit un reproche à Frédéric, qui n’avait pas permis aux médecins de pénétrer jusqu’à elles. L’Anglaise, surtout, fut étroitement gardée : il la mit sous la tutelle d’eunuques noirs, que Mathieu Paris compare à de « vieux masques. » Le pape Innocent IV, au concile de Lyon, accusa l’empereur des chrétiens de fabriquer lui-même les eunuques dont il avait besoin pour le service de son palais.

Les idées politiques de Frédéric se ressentirent de ces fréquentations orientales. S’il est vrai qu’il ait songé à réunir en ses mains le double pouvoir spirituel et temporel, ne fût-ce que pour n’avoir plus de pape à redouter, il avait, en Asie même, un beau modèle sous les yeux : le calife de Bagdad. Peut-être aussi connaissait-il l’histoire de cet Hakem, sultan d’Egypte (assassiné en 1021), qui, non content d’être lieutenant de Dieu, se proclama dieu lui-même et fonda la secte des hakimites, aussi ardens à adorer sa mémoire que le furent les plus fanatiques des gibelins à sanctifier celle de Frédéric II. Ce qu’il y a de certain, c’est que Frédéric II, à l’idéal romain d’empire, associait bizarrement un idéal tout asiatique. « Heureuse l’Asie, écrivait-il à son gendre l’empereur grec Vatacès, heureuses les puissances de l’Orient qui n’ont à redouter ni les armes de leurs sujets, ni les intrigues de leurs pontifes ! »

Et pourtant c’est le même homme qui, dès son avènement, fit le vœu de la croisade ; qui, si longtemps, s’intitula le fils dévoué de l’église ; qui, dans une des accalmies de la grande lutte, obtint du pape la canonisation d’Elisabeth de Hongrie, procéda lui-même à l’ouverture de son cercueil, posa sur sa tête une couronne d’or, et crut pieusement aux miracles opérés sur son tombeau ; qui sévit contre les hérétiques et qui voulut mourir dans la robe d’un moine. Il était encore de son temps par les superstitions astrologiques, qui d’ailleurs survécurent tant de siècles au moyen âge. Il ne voulut consommer son mariage avec sa fiancée anglaise que lorsque les sages eurent observé le ciel et annoncé que les signes étaient favorables : tant il y avait de complexité et de contradictions dans ce singulier génie.

Le XIIIe siècle n’a cependant pas eu de plus grand esprit. Il avait des connaissances et des curiosités presque encyclopédiques, et fut vraiment un homme de la « première renaissance, » celle qui prépara la grande renaissance. Il paraît avoir possédé non-seulement l’allemand et le latin, mais les trois langues de sa cité trilingue