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ouvertement que l’empereur Frédéric II va revenir plus puissant que jamais pour réformer l’église. Il est nécessaire qu’il vienne, ajoutent ceux qui professent cette opinion, même quand il aurait été coupé en morceaux, même quand il aurait été réduit en cendres par les flammes d’un bûcher. C’est un décret de la Providence qu’il en soit ainsi, et ce décret est irrévocable. » Les peuples de langue allemande se sont obstinés à voir avant tout dans la mission de Frédéric II la réforme de l’église, c’est-à-dire la première des révolutions modernes, et le point de départ de toutes les autres.

Une des étrangetés de Frédéric II, c’est la prise qu’eurent sur lui les influences musulmanes, et c’est là ce qui achève de donner à son impiété, ou, si l’on veut, à son scepticisme, un cachet spécial. Sans doute, il n’est pas le seul des princes de ce temps qui ait arabisé : les barons de Languedoc, de Provence, de Sicile, de Palestine, même les grands-maîtres des ordres religieux de ce temps, étaient étrangers au fanatisme ignorant et aveugle des premiers croisés; mais personne n’afficha aussi audacieusement, dans une situation aussi élevée, les sympathies et les mœurs musulmanes. Même la croisade est pour lui affaire de diplomatie, affaire de négoce, plutôt que de religion. Dans le temps même où il prenait la croix à Aix-la-Chapelle, il envoyait à Damas et au Caire Jean, évêque de Céfalu, renouveler les anciens pactes entre son royaume sicilien et les musulmans d’Orient ; plus tard, il vend du blé à Tunis. Même, si on en croit Nicolas de Curbio, un familier des papes, il se livre à la traite des blanches et envoie des vierges chrétiennes aux harems des princes musulmans ; plus probablement, il aura fermé les yeux sur ce honteux trafic, depuis longtemps familier aux Italiens du midi. Dans son royaume des Deux-Siciles, il réprima la turbulence des Sarrasins qui y sont établis ; mais, malgré les instances de l’église, il se garda bien de les détruire. Il les organisa en ces deux colonies militaires de Lucera et de Nocera, qu’il renforça, au besoin, des mercenaires musulmans enrôlés sur la côte d’Afrique ; elles furent pour lui comme une pépinière inépuisable de guerriers. Il emmène ces fidèles auxiliaires à la croisade de Palestine et les croisés naïfs s’étonnent de les voir, dans le camp du très chrétien empereur, tout près du tombeau du Christ, pratiquer librement les rites de leur culte. C’est avec eux qu’il gagne la bataille de Corlenuova, qu’il assiège Brescia et Faenza, et les papalins parlent avec horreur des flèches empoisonnées, du feu grégeois, des engins inconnus et formidables que ces infidèles mettent au service de leur maître. Dans sa lutte contre Rome, ils lui sont précieux entre tous, car ils sont invulnérables aux foudres du saint siège,