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pas altérer, par un excès d’engrais, le généreux terroir de Sicile. Il essaie la culture de certaines plantes exotiques, telles que le palmier-dattier, dont il confie le soin à des juifs africains, telles que l’indigo, le coton, la canne à sucre. Il installe des sucreries, des manufactures de soieries. Il fait venir de Damas et de l’Espagne musulmane d’habiles armuriers. Il veille à ce que les tarifs d’importation et d’exportation ne soient pas dictés uniquement par des vues fiscales, mais soient des tarifs protecteurs et servent à favoriser les industries locales. Il abolit les douanes intérieures. Il fait creuser des puits dans les localités sans eaux, réparer les canaux destinés autrefois par les Romains à l’écoulement du lac Fucin. Il jette des ponts sur les rivières, comme celui de l’Ofanto, élève un hôpital à Tripergola, près de Naples. C’est un fondateur de villes nouvelles : Monteleone en Calabre, Aquila dans les Abruzzes, Augusta en Sicile. Il poursuit la répression de la piraterie et l’abolition du droit de bris. Il signe des traités de commerce, même avec des puissances infidèles. A lire dans M. Zeller et dans Huillard-Bréholles l’énumération de ses réformes, on pense à Frédéric II, roi de Prusse, bien plus qu’à Frédéric II, chef du saint-empire.

La grande originalité de Frédéric, c’est une certaine liberté d’esprit, bien étrange à cette époque. Non pas qu’il ait été en son temps un phénomène isolé et inexplicable. M. Zeller a saisi quelques-uns des fils qui le rattachent à ce moyen-âge inconnu, ou du moins le moins connu : le moyen âge sceptique ou incroyant. Grégoire IX attribuait à son ennemi des propos scandaleux : l’empereur aurait dit que le monde a été trompé par trois imposteurs, Moïse, Jésus-Christ et Mahomet[1]. Or, ce propos, ce n’est pas lui qui en est le premier auteur. Il l’aurait emprunté à Simon de Tournay, un de ces théologiens audacieux dont la dialectique ne respectait rien : Simon, pour faire parade de sa dextérité scolastique, démontrait d’abord, par de bonnes raisons, que Jésus était un imposteur, afin d’augmenter le mérite qu’il aurait ensuite à démontrer, par des raisons encore meilleures, qu’il était bien le fils du Très-Haut; après s’être donné le plaisir de défaire Dieu, il le refaisait. Frédéric subissait les influences des pays les plus sceptiques de l’Europe, ceux où l’on connaissait beaucoup les infidèles ou beaucoup trop la papauté, comme notre France du midi ou les environs immédiats de Rome. Il se rattachait au type de ces princes incroyans du Languedoc, ces chefs et fauteurs de la secte albigeoise, ces comtes de Toulouse et ces vicomtes de Béziers qu’Innocent III avait autrefois foudroyés.

  1. Et encore que « la Sainte Vierge n’a pu enfanter un dieu parce que l’on ne saurait croire raisonnablement que ce qui se fait par la voie de la nature. »