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la circonstance pour reconnaître l’indépendance des colonies espagnoles de l’Amérique, de même qu’il témoignait ses sympathies à La Grèce, pour laquelle Byron allait mourir. C’était ce que M. de Metternich appelait la politique « aventureuse » de l’Angleterre. En France, royalistes et libéraux, à peine délivrés de la guerre d’Espagne, s’agitaient pour les Grecs et pressaient le gouvernement, dont le chef, M. de Villèle, au dire du duc de Broglie, répondait de son « ton nasillard « à ceux qui lui parlaient d’Athènes : « Quel intérêt pouvez-vous prendre à cette localité ? » La France prenait intérêt au Parthénon aussi bien qu’aux défenseurs de Missolonghi, et elle se montrait déjà prête à toutes les interventions ; mais c’est surtout en Russie que survenait au cours de ces années un changement décisif, un vrai coup de théâtre par la mort de l’empereur Alexandre, qui disparaissait subitement, mystérieusement à Taganrog, le 1er décembre 1825, et à qui M. de Metternich, en enregistrant « le foudroyant événement, » consacre cette singulière oraison funèbre. « Alexandre était malheureusement l’enfant de l’époque; marchant de culte en culte et de religion en religion, il a tout remué et n’a rien bâti. Tout en lui était superficiel, rien n’allait au-delà... » L’empereur Alexandre, ressaisi, dans les deux dernières années de sa vie, par les agitations d’un esprit assombri, que M. de Metternich appelle des « remords, » et par les influences de la sainte-alliance, disparaissait sans avoir rien résolu ni rien tenté en Orient[1]. Que ferait maintenant son successeur l’empereur Nicolas, qui montait au trône dans les circonstances les plus dramatiques, après une courte et émouvante indécision de règne entre lui et le grand-duc Constantin, — au milieu des péripéties d’une sédition militaire d’où il ne sortait victorieux que par une inébranlable fermeté?

On ne le savait pas d’abord; le nouveau souverain ne le savait peut-être pas lui-même. Il ne se livrait pas du moins ; il se montrait autant qu’Alexandre religieusement attaché aux principes conservateurs « de la sainte-alliance, » et, comme son. frère, il désavouait toute pensée de guerre, toute ambition de conquête ; mais il

  1. Peu après, M. de Metternich écrivait à un de ses confidens : «... La situation véritable du pauvre empereur Alexandre était difficile à connaître. Lui-même ne la connaissait pas, car ceux qui mènent les choses jusqu’à un point de dissolution ne voient plus clair. J’ai été le confident de plus d’une pensée secrète de l’empereur; j’en ai deviné bien plus encore. J’ai été témoin de ses craintes et souvent même appelé à être le juge de ses remords; mais la connaissance exacte du terrain de la Russie m’ayant manqué, je n’ai pas moi-même tout prévu. Je connaissais l’existence d’un grand mal, sans pouvoir en fixer les limites. Ce que j’ai pu constater jusqu’à une entière évidence pour moi, c’est le fait qu’Alexandre n’avait plus, dans les derniers temps, qu’une seule affaire qui le préoccupât, et c’était de se sauver, lui et son pays, d’une perte qu’il croyait assurée... » (Mémoires, t. IV, p. 278-279.)