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ainsi une certaine direction de la pensée en même temps que de l’action : d’autre part, aucune autre expérience n’est encore venue contrarier la première. Nous avons ainsi, en faveur de la direction flamme-brûlure, une force positive, et, d’autre part, aucune force contraire ; donc, quand reparaîtra la représentation de la flamme, la représentation de la brûlure reparaîtra aussi, et elle déterminera nécessairement une direction de pensée et d’activité identique à la première direction. Supposez de plus qu’un grand nombre d’autres expériences viennent encore confirmer la première : ces expériences ne feront qu’augmenter la force de direction sur la ligne flamme-brûlure, et si nul cas négatif ne se trouve en opposition, la persistance du mouvement selon cette résultante sera mécaniquement nécessaire. Ce mouvement persistant sans aucun obstacle se traduira dans la conscience par ce qu’on nomme affirmation. — Enfin, si un ou deux cas négatifs se présentent au milieu d’un grand nombre de cas positifs, il n’y aura plus conviction et affirmation sans réserve, mais seulement probabilité, et le degré de cette probabilité sera la résultante des expériences pour et des expériences contre, comme le mouvement d’un mobile est la diagonale du parallélogramme des forces favorables et contraires. La tendance à projeter dans l’avenir les similitudes observées dans le passé naît donc de l’absence de toute dissimilitude à nous connue dans les cas à venir; elle n’est qu’une continuation et un prolongement naturel des ressemblances observées. Cette continuation est elle-même une persistance dans le mouvement commencé, dans l’action commencée. Le principe mécanique de ce qu’on nomme improprement l’inertie de la matière et qui n’est, à vrai dire, que la continuation de son activité ou de son mouvement, est donc identique au principe mécanique du raisonnement.

Mais c’est précisément parce que la logique coïncide avec la mécanique qu’elle ne peut rendre compte de la réalité. Il nous paraît donc impossible d’étendre le domaine du raisonnement jusqu’à y comprendre la sensation simple ou, en général, le fait de conscience. M. Wundt a représenté la sensation même comme étant la conclusion d’un raisonnement inconscient. Ce n’est plus le raisonnement qui est de la « sensation transformée ; » c’est la sensation qui est du raisonnement transformé. Toute sensation, dit M. Wundt, par exemple celle du rouge, a un caractère distinctif, « une propriété absolument spéciale, » que rien ne peut exprimer. Quelle marque mystérieuse distingue le bleu du rouge? je ne puis le dire, et pourtant je ne m’y trompe pas ; sentir, c’est précisément discerner cette marque, c’est la reconnaître, pour aboutir à la conclusion : donc cela est bleu. Ce discernement, ce jugement ne peut