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dans la vie de plus en plus solitaire et congédiait successivement les quelques aides qu’il s’était d’abord adjoints pour l’exécution du Jugement dernier, Raphaël, au contraire, se voyait toujours plus entouré et recourait aussi plus largement à la collaboration de ses disciples. Cette collaboration n’était pas chose nouvelle parmi les artistes ; sculpteurs et peintres la pratiquaient depuis longtemps dans les grands travaux qui leur étaient confiés et que seule elle leur permettait d’entreprendre. M. Müntz, en montrant comment les conditions de l’apprentissage s’étaient peu à peu modifiées, cite des exemples de ces associations qui mettaient au service d’un chef d’atelier des coopérateurs tout préparés. C’est grâce à cet usage déjà ancien qu’avaient pu être achevées ces importantes décorations qui à Padoue, à Assise, à Pise, à Florence et dans bien d’autres villes, excitent encore aujourd’hui notre admiration.

Mais, jusque-là, aucun artiste n’avait groupé autour de lui autant d’élèves, ni surtout réglé leur concours avec un pareil esprit d’organisation. Obligé de suffire aux tâches les plus diverses, Raphaël faisait à ses collaborateurs une part de plus en plus considérable dans les commandes qu’il recevait. Mais s’il trouvait à cette production sans trêve la satisfaction de son activité, il faut bien reconnaître qu’à la longue cette tendance à se décharger sur autrui d’une portion de son travail devait amener chez lui une indifférence croissante pour l’exécution. Une fécondité aussi prodigieuse n’était guère compatible avec une constante perfection. C’est le péril le plus ordinaire de la collaboration, qu’elle porte le maître qui la pratique à se détacher graduellement de son œuvre et à s’accommoder des interprétations plus ou moins fidèles que ses élèves peuvent donner à sa pensée. Des défaillances et des inégalités trop manifestes condamnent d’ordinaire ce genre de productions. Si excellentes qu’elles puissent être, elles ne sauraient, en tout cas, jamais offrir la force d’unité et l’originalité complète qu’un artiste en possession de ses moyens d’expression arrive à mettre dans les ouvrages que non-seulement il a conçus, mais avec lesquels il a vécu jusqu’au bout. Trop souvent, dans les derniers travaux de Raphaël, dans les loges et dans les fresques de la Farnesine, par exemple, il est difficile de retrouver sa main, et l’exécution, bien loin d’ajouter aux mérites de la composition, a trahi toutes ses promesses.

Cette harmonie, cette identification de l’artiste avec son œuvre, nous ne pourrions, en revanche, la rêver plus complète que dans les madones florentines. Avec quelque chose de la pureté et de la candeur d’Angélique de Fiesole, ces créations exquises ont un charme de beauté singulièrement attachant, et aux heures les plus favorisées de sa jeunesse, l’Urbinate a mis dans ces gracieuses figures tout ce