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du maniérisme ; elle maintiendra la noblesse d’un style à la fois très simple et très élevé, également éloigné des vagues aspirations d’un mysticisme nuageux et des vulgarités d’un naturalisme étroit. Le propre de ces artistes d’élite est de présenter bien des aspects, de pouvoir être abordés par bien des côtés. C’est pour cela qu’avec eux les points de vue de la critique changent si souvent, et que chaque génération les envisage sous un jour nouveau. Il n’est guère d’œuvre qui, plus que celle de Raphaël, ait prêté à des opinions contradictoires. En essayant d’analyser les divers élémens d’un art si complexe, afin d’apprécier ce que vaut chez lui chacun d’eux, peut-être jugerons-nous mieux de l’ensemble et arriverons-nous à mesurer la puissance et l’étendue d’un si vaste génie.

Disons-le tout d’abord, Raphaël n’est point un coloriste, et pas plus que lui, du reste, au sens que nous attribuons à ce mot, aucun peintre de cette époque, en dehors de l’école de Venise, ne pourrait être qualifié de ce titre. Dans sa jeunesse, il est vrai, l’Urbinate manifeste parfois un sentiment très fin de l’accord des couleurs, et, au Louvre, le petit tableau du Saint Georges peint, en 1504, pour le duc Guidobaldo, nous montre l’harmonieux rapprochement de tons très doux, fort à propos relevés par le blanc du cheval et le rouge de la selle; mais à côté, son pendant, le Saint Michel, peint la même année, est, au contraire, d’un décousu et d’une vulgarité extrêmes dans le coloris. De même si, un peu plus tard, nous devons admirer les intonations blondes, délicates et transparentes de la Belle Jardinière, la pureté et l’arrangement heureux des vives nuances du costume, la fraîcheur des carnations, la délicatesse et la franchise avec lesquelles cette gracieuse figure se détache sur un ciel limpide et sur un aimable paysage, à deux pas de là, en revanche, dans la petite Sainte Famille, les tons sont durs, heurtés et incohérens. Par la suite encore, dans ses premières fresques, notamment dans l’École d’Athènes, même bariolage de nuances fades ou crues ; des gris terreux ou lie de vin, des rouges et des bleus, des jaunes et des verts juxtaposés dans les draperies, parfois même opposés dans un même vêtement sans grand souci du ton local, offensent un peu le regard, tandis que, dans le Parnasse, la douceur élyséenne de l’aspect ajoute au charme de la composition. Enfin, dans la Messe de Bolsena, dans les cartons de la Pêche miraculeuse ou du Christ avec les apôtres, la plénitude, l’éclat et la force des résonances sont bien dignes de l’artiste qui a peint le Joueur de violon, et aussi, croyons-nous, ce portrait de la prétendue Fornarine (musée des Offices), qu’on attribue généralement à Sébastien del Piombo[1]. Mais au moment même où, dans toute la maturité

  1. Les analogies d’exécution que nous trouvons entre les fourrures et les carnations de ce portrait et celles du Joueur de violon nous portent à penser avec M. Bode (article du Kunstfreund ; 1885, n° 15) que ces deux ouvrages sont de la main de Raphaël.