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des essais poétiques, écrits de la main de Sanzio lui-même, et dans lesquels il cherche à exprimer les peines ou les ardeurs que lui fait ressentir celle qu’il aime. La pensée est embarrassée, la forme diffuse et parfois même incompréhensible, et les rimes alignées sur ces feuillets attestent la difficulté qu’éprouve l’auteur à formuler ses idées dans une langue qui lui est étrangère. Il ne devait pas s’obstiner à ces tentatives malencontreuses, les seules qui nous aient été conservées. On y sent un versificateur qui s’applique laborieusement à sa tâche et non un poète.

A qui ces vers s’adressaient-ils? Cette femme, dont Raphaël chante : « le troublant regard, la face de blanches neiges et de roses vivaces, le beau parler et les manières élégantes, » est-ce la même personne que Vasari nous montre quelques années après, en 1513 ou 1514, ayant acquis sur le maître un ascendant tel qu’Augustin Chigi, désireux de presser la terminaison des peintures de la Farnésine, la suppliait de venir s’installer dans sa villa, près de Raphaël; celle que, sans raison connue, une légende, qui date du siècle dernier, a affublée du nom de la Fornarine et qui, de son vrai nom, s’appelait probablement Marguerite[1] ; celle enfin qu’au moment de sa mort, l’Urbinate, après l’avoir recommandée à Baviera, l’un de ses compagnons, « renvoya de chez lui en bon chrétien, en lui laissant de quoi vivre convenablement? » Quelle que soit l’incertitude où nous sommes encore à cet égard, on s’accorde du moins à rejeter aujourd’hui comme calomnieuse l’imputation de Vasari, que la fin de Raphaël aurait été causée par les excès de sa passion pour cette maîtresse. Si des excès ont pu hâter sa mort, ce sont, avant tout, comme le dit M. Müntz, des excès de travail ; et « l’organisation la plus robuste n’aurait pu résister à un effort aussi prodigieux, effort qu’il fallait renouveler tous les jours. »

Le témoignage d’un contemporain, le Vénitien Marc-Antoine Michiel, nous apprend d’ailleurs que c’est à la suite d’un accès de fièvre pernicieuse, febre continua e acuta, que Raphaël fut enlevé dans l’espace de huit jours. Son organisation délicate, épuisée sans doute par les fatigues de ce travail sans répit auquel il était astreint, n’avait pu résister à la violence de la maladie. La mort fut pour lui une surprise, car, le 24 mars 1520, plein de confiance en l’avenir, il signait encore le contrat d’acquisition d’un terrain situé dans la via Julia, et sur lequel il se proposait d’élever une demeure plus spacieuse que celle qu’il occupait. Le 6 avril suivant, il expirait, au jour anniversaire de sa naissance, le vendredi saint.

  1. C’est du moins sous ce nom qu’elle est désignée dans une note manuscrite très anciennement portée sur les marges d’un exemplaire de Vasari, en regard du passage où ce biographe par le d’elle.