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progrès des opérations de l’armée française font ici la même impression que si c’étaient des victoires de l’armée autrichienne. « Il parlait ainsi ; mais, en même temps, il mêlait à sa politique toute sorte de petites duplicités et de manèges insidieux. Il imaginait même un instant d’embarrasser le gouvernement français en lui suscitant un rival, en encourageant et patronnant le roi de Naples dans ses prétentions à je ne sais quel rôle de médiateur de famille en Espagne au nom de la légitimité et des droits dynastiques. Il se défiait de la France, il la soupçonnait de porter dans cette affaire espagnole des calculs secrets d’ambition ou un sentiment de gloriole militaire ou peut-être même des faiblesses libérales, et il aurait voulu la tenir en tutelle par une conférence européenne qui serait restée réunie à Paris pendant la durée de l’intervention.

Au fond, il était de ceux qui ne sont jamais satisfaits que de ce qu’ils font eux-mêmes, et sans aller jusqu’à contrarier ouvertement la campagne française, il ne se défendait pas les propos légers, malicieux sur les ministres du roi Louis XVIII, sur les temporisations équivoques de M. de Villèle aussi bien que sur la diplomatie chevaleresque et entreprenante de M. de Chateaubriand. Il en était quitte, il est vrai, le succès de l’entreprise une fois décidé et assuré, pour s’en donner un peu l’honneur, pour s’attribuer le mérite de « l’heureux résultat de l’expédition d’Espagne,.. » de cette « troisième révolution réduite en poussière et en cendre depuis deux ans par une impulsion venue du dehors... » Le chancelier d’Autriche avait bien, après tout, le droit de considérer comme son œuvre cette campagne nouvelle qu’il avait pour le moins inspirée s’il n’avait pas pu la diriger, ce troisième acte du drame noué à Troppau. Il avait habilement manœuvré, il avait été l’âme des congrès. De cette sainte-alliance, qui n’avait été à l’origine qu’une vision chimérique, un rêve de religiosité mystique et vague dans l’esprit de l’empereur Alexandre, il avait fait une réalité, tenant dans ses mains, depuis Carlsbad, tous les fils de ce réseau de contre-révolution tendu sur l’Allemagne, puis jusqu’à Naples et jusqu’à Madrid. C’était bien son ouvrage : il s’en flattait, tout en mêlant à l’infatuation de ses succès une légère affectation de supériorité ironique et dédaigneuse. « C’est une terrible chose que de voyager dans ma position, écrit-il vers ce temps-là à ses familiers. Je suis saturé d’ennui comme un souverain, grâce aux cours qui me fêtent à mon passage ; en même temps, je suis obsédé comme un devin, car tout le monde me demande conseil. Depuis que j’ai été assez heureux pour faire disparaître les carbonari, on s’imagine que je n’ai qu’à me montrer pour détruire tout ce qui gêne l’un ou l’autre. Aujourd’hui, tous les gouvernemens sont malades, et ils le sont tous par leurs propres fautes. Depuis