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idées dans celles de ses lettres qui nous ont été conservées. Le jeune enfant, d’ailleurs, à raison de sa précocité qui nous est signalée par Vasari, avait également trouvé, dans la maison paternelle, d’autres enseignemens dont il put faire son profit, car Giovanni était peintre, et si, pour vivre et pour élever sa famille, il avait été obligé de s’accommoder des tâches les plus humbles, ce n’était cependant pas un artiste sans talent. La gloire de son fils a sans doute contribué à attirer l’attention sur ses œuvres; mais ses tableaux religieux, — on peut en voir à Urbin et dans les églises des environs : à Fano, à Cagli, à Gradura, ou dans les musées de Londres, de Berlin, et dans les collections du Latran et de Brera, — montrent un sens assez personnel, et un beau portrait du duc Frédéric de Montefeltro, exécuté à la pointe d’argent (collection de Christ-church, à Oxford), dénote chez lui une habileté très réelle de dessinateur. Giovanni, qui d’ailleurs était un esprit cultivé, avait mérité l’estime et l’affection d’un grand nombre de ses confrères. Avec une modestie et une impartialité qui font également honneur à son caractère et à son goût, non-seulement il appréciait le mérite de maîtres alors plus en vue que lui, mais il accueillait affectueusement ceux qui, dans sa propre ville, venaient s’acquitter de travaux dont il aurait pu désirer ou obtenir la commande. Bien plus, il essayait de les y attirer en les signalant lui-même à la bienveillance de son souverain ou de ses compatriotes. Cette absence complète de jalousie, cette humeur douce et courtoise, cette sûreté de relations sont des qualités morales que nous serons heureux de retrouver chez Raphaël lui-même, et dont il est juste de reconnaître que son père lui avait donné l’exemple.

Urbin offrait, du reste, à l’enfant, bien des ressources précieuses pour son développement artistique. M. H. Delaborde, dans une remarquable étude sur les Arts à la cour d’Urbin, et après lui M. Müntz, dans son livre sur la Renaissance, nous ont fait connaître cette intéressante figure du duc Frédéric de Montefeltro, l’un des princes en qui les aspirations multiples de cette époque se personnifient de la manière la plus brillante. On est émerveillé de l’activité intellectuelle qu’il avait su provoquer dans sa modeste résidence, de l’infatigable curiosité d’esprit et des goûts élevés de ce condottiere auquel quatre fonctionnaires attitrés faisaient la lecture pendant ses repas, et qui entretenait à ses frais plus de trente scribes occupés à copier pour lui les manuscrits les plus célèbres des diverses bibliothèques de l’Italie. Les richesses que lui avaient values ses succès militaires trouvaient largement leur emploi dans les dépenses de sa cour où, parmi les quatre cents personnes attachées à son service, on comptait des philosophes, des grammairiens, des humanistes, des ingénieurs, des architectes, des musiciens et