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leurs repas. L’encaisse de la Banque de France s’était complètement transformée. A la fin de 4849, elle comprenait 429 millions en argent et 4 millions en or. En décembre 1855, elle était de 18 millions en argent et de 113 millions en or. La Banque faisait venir à grands frais de l’étranger des lingots et des monnaies d’argent qui s’écoulaient aussitôt, et un membre du sénat belge égaya cette assemblée où la question monétaire était passionnément agitée, en disant qu’il avait vu sur les chemins belges des wagons chargés d’argent acheté à Amsterdam pour Paris se croiser avec des wagons aussi chargés d’argent venant de France à destination d’Amsterdam. Les négocians français n’envoyaient plus d’argent au monnayage : on leur aurait rendu des pièces de 5 francs valant moins que les lingots qu’ils auraient apportés. De 1853 à 1866, en treize ans, nos hôtels des monnaies n’eurent à frapper en écus que 91,303, 495 francs, un peu plus de 7 millions par année, tandis que la moyenne avant 1850 avait été de 75 millions. Des 2 milliards auxquels on pouvait évaluer les existences du métal blanc en 1852, il ne restait plus, douze ans après, que 600 millions à peine. Les états de douane faisaient ressortir à plus de 1,400 millions les excédons de sorties sur les entrées pendant cette période. M. Pirmez, le représentant de la Belgique dans les dernières conférences, avoua qu’on avait refondu à Bruxelles pour 450 millions de pièces françaises. La Banque de France elle-même, entraînée par l’exemple, voulut prendre part à ce genre d’exploitation, après en avoir été la victime. En 1859, elle échangea avec la Banque d’Angleterre 370,786,600 francs d’argent contre de l’or et réalisa ainsi une prime de 418,300 francs.

Un trouble aussi visible, les plaintes et les réclamations de plus en plus accentuées, ne laissaient pas le gouvernement sans inquiétude. On consulta les receveurs-généraux : quatre-vingt-trois sur quatre-vingt-neuf répondirent qu’ils étaient gênés dans leur service par l’insuffisance de la menue monnaie. Les chambres de commerce également interrogées constatèrent le mal sans indiquer le remède. Que faire alors ? La première idée des légistes, toujours en majorité dans les conseils du gouvernement, fut d’aller exhumer dans l’ancienne législation des mesures prohibitives. On défendit sous des peines sévères, comme l’eût fait Philippe le Bel, le triage et la fonte des pièces d’argent, l’annonce de la prime offerte par les changeurs ; défense fut faite aux compagnies de chemins de fer et aux roulages de transporter de la monnaie de l’intérieur aux frontières. Pour intimider les changeurs et les affineurs, les parquets lancèrent contre eux des mandats d’arrêt ; on fit même chez quelques-uns des visites domiciliaires, on y saisit des livres et des papiers :