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a tant de déceptions que l’expérience a déjà pu pénétrer dans ces jeunes têtes. On en eut la preuve dans des circonstances exceptionnelles. Le 12 avril 1871, au moment où l’avorton de la commune s’imaginait encore qu’il arriverait à croissance, le commissaire de police pour les quartiers de Picpus et de Bel-Air conduisait à la Conciergerie et à la prison de Saint-Lazarre les religieux picpuciens et les sœurs des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, que leur costume a fait surnommer les Dames-Blanches. Les premiers allèrent plus tard jusqu’à la rue Haxo ; les secondes furent mises en liberté dès que les troupes françaises eurent anéanti l’insurrection. Ce commissaire de police avait l’esprit large et ne s’arrêtait guère à la diversité des dogmes qui divisent les communions issues du christianisme. Le lendemain même du jour où il avait vidé des couvens catholiques au profit des maisons pénitentiaires, il se présenta chez les diaconesses, fit réunir les pupilles de la retenue et leur dit : « Citoyennes, vous êtes libres, et les portes vous sont ouvertes. » Nulle ne bougea ; une fillette leur cria : « Vous êtes des lâches ! » Une d’elles cependant se ravisa et sortit. On sait où elle a été et ce qu’il en est advenu ; il est probable que, plus d’une fois, elle a regretté le lavoir où elle travaillait et le petit lit où elle dormait sans souci du lendemain. L’expédition avait manqué son but, et manqué doublement, car elle était accompagnée d’une voiture cellulaire qui s’en alla vide comme elle était venue. En effet, le commissaire de police avait ordre d’arrêter la supérieure et l’économe ; l’une était Hollandaise, l’autre était Alsacienne. La commune professait un respect scrupuleux pour les puissances étrangères : les deux diaconesses ne furent donc point inquiétées, non plus qu’une troisième dont on retrouva le mandat d’amener : « la citoyenne d’Haussonville, fille de d’Haussonville, ancien précepteur du comte de Paris. » Si Adolphe Régnier avait vu cette paperasse, il eût protesté ; mais la commune n’en était pas à de telles peccadilles historiques.

Un autre fait témoigne en faveur de la maison de Reuilly et démontre que la maternité de la discipline gagne les cœurs et calme les révoltes de l’esprit. Cinq filles de service sont occupées aux travaux domestiques de l’intérieur. Ce n’est point une sinécure ; la maison est étincelante de propreté, les araignées l’ont prise en horreur et la poussière n’a pas le temps de s’y poser. Sur ces cinq servantes, dont le labeur est incessant, quatre sortent de la retenue et considèrent comme une bonne fortune sans égale d’avoir pu obtenir de demeurer et de vivre là où elles avaient ressaisi leur moralité perdue. Ce fait est à noter ; plus que tout argument, il prouve que l’amélioration acquise persiste et qu’elle est assez solide pour