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car le traitement moral ne peut avoir prise sur elle. Les désordre. qui l’ont attirée et retenue l’ont-ils tellement surmenée qu’elle en a perdu la raison ; on le croit, on le répète ; tel n’est pas mon avis, et j’ose dire que c’est la faiblesse même de sa raison qui l’a entraînée aux désordres. Que de fois, en pareille circonstance, on a confondu la cause et l’effet ! Il est de bon ton de blâmer ces malheureuses et souvent de ne leur épargner aucun sévice ; il serait plus juste de les plaindre, de considérer le milieu dont elles sont issues, l’éducation imparfaite qu’à peine l’on a ébauchée pour elles, les exemples abominables qui les ont corrompues, et de conclure que l’enfant tombe quand on ne lui met pas de lisières. Je crains de paraître excessif en disant ma pensée tout entière : mais, dans bien des cas, il serait équitable d’envoyer en prison les parens dont la fille mineure a mérité les rigueurs de la maison correctionnelle. La responsabilité des père et mère envers leurs enfans ne semble pas avoir été suffisamment précisée et déterminée par la loi. Article 203 : « Les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfans. » C’est bien vague ; on peut être nourri, entretenu et élevé par des ascendans directs et être moralement abandonné, sinon perverti par eux. Il est regrettable que le respect professé pour l’autorité paternelle ne permette pas de la surveiller et de lui enlever l’enfant dont, trop souvent, elle a préparé la perte.

J’ai pénétré dans la maison de la retenue et j’y ai admiré une cuisine pleine de promesses ; si les ragoûts ne sont point succulens, ce ne sera pas faute de belles marmites ni de casseroles qui pourraient faire office de miroir. Passons ! En toute communauté, fût-ce celle des Invalides, la cuisine induit en orgueil, qui est un péché capital. La buanderie m’intéresse plus, car c’est là que les jeunes détenues sont réunies devant les vastes cuviers en pierre où coule l’eau de lessive, auprès des baquets de savonnage, dans la chambre brûlante du séchoir, au milieu de la salle de repassage. Elles se sentent regardées et baissent les yeux avec une modestie plus ou moins sincère ; seule, une grosse fille, tordant un drap mouillé, éclate de rire : lourdes lèvres, dents séparées, regard éteint, front bas, cheveux ternes ; la matière est plus forte que l’esprit ; celui-ci est comme un chardonneret dans une cage de pierre : sa demeure est si épaisse que les chants ne la traversent pas ; la pauvre enfant n’est pas loin de l’idiotie, et si elle est là, c’est sans doute parce qu’on l’a soustraite à ceux qui s’en amusaient. En Orient, la débilité intellectuelle est sacrée ; il n’en est pas de même dans les pays qui sont fiers de leur civilisation. À travers les piles de linge, j’aperçois une fillette de mine éveillée, mais si jeune, si jeune, que je suis surpris