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perdue. Les déclamations des philosophes humanitaires, les sophismes des moralistes fabricants d’idées toutes faites, les objurgations des libellistes à courte vue n’y feront rien ; la vérité n’est point douteuse pour l’honnête homme qui a étudié la question : quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, la fille du peuple est perdue par le peuple, et l’or du riche, ce fameux or corrupteur dont on a tant parlé, n’a rien à voir en tout ceci. On le sait à la correction paternelle de Saint-Lazare, au Bon-Pasteur, au refuge Saint-Michel, à l’ouvroir de la Miséricorde et à la maison des diaconesses. Là on ne se fait point d’illusion, car on est en présence de la réalité dont on a reçu les confidences ; on sait où est le mal ; on le sait si bien, qu’en principe on éloigne les familles des jeunes détenues, car l’expérience a enseigné que, la plupart du temps, elles ne sont et bien souvent ne savent être qu’un agent de perversion. J’irai plus loin, et je le peux sans craindre de me tromper, car j’ai eu entre les mains d’irrécusables documens. Si une jeune fille, — je parle d’une enfant de quatorze à seize ans, — se dérange, comme dit l’expression populaire, et si elle fait profiter sa maison du bénéfice qu’elle peut retirer de son inconduite, on l’encourage, on la choie, on favorise sa précocité ; on dit : « Elle n’est pas bête, la petite, elle rapporte déjà. » Mais si elle réclame sa liberté, si elle va dépenser hors du logis l’argent mal gagné, on la vitupère, on s’en plaint, on l’accuse, et l’on obtient contre elle une ordonnance de séquestration. Il y a des mères qui ne pardonnent point à leurs filles de leur porter préjudice en marchant sur leurs traces et en se conformant aux exemples qu’elles ont reçus. Si « le bureau des mœurs » de la préfecture de police livrait ses dossiers à la publicité, on serait stupéfait.

À ce mal, qui n’est pas seulement confiné dans les couches infimes de la société parisienne ; à ce mal, qui est une lèpre que le moindre contact peut communiquer, qui détruit le corps, désagrège l’âme et atrophie les sentimens respectables, la charité s’efforce de remédier. Elle ouvre des asiles, elle multiplie les refuges, elle installe des écoles professionnelles, des ouvroirs, des orphelinats, des ateliers où l’on fait l’apprentissage de la moralité. Elle se bat corps à corps avec le péché mortel, celui dont la femme est la victime expiatoire, lorsque l’on n’a pu l’y arracher. Ces maisons closes, dont la porte est surmontée d’une croix ou d’un verset des livres saints, ont été le théâtre de luttes héroïques qui rappellent ces mystères du moyen âge, au dénoûment desquels le bon et le mauvais ange se disputent une âme. Là, le diable est invariablement dupé ; en est-il ainsi dans ces écoles de relèvement ? Pas toujours, car on se heurte souvent à de mauvais sentimens