Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Heureusement, à la maison des diaconesses, « le sexe fort » n’a rien à faire et tout est confié aux femmes vertueuses et ferventes qui la dirigent. L’homme ignore la femme, quoiqu’il s’imagine la comprendre parce qu’il parle le même langage qu’elle ; mais entre elles les femmes se devinent, et parfois il suffit d’un geste, il suffit d’un coup d’œil pour que la révélation soit complète. La femme impeccable, dont la rigidité morale est inflexible, pénètre sans effort au fond des cœurs féminins les plus résolus et les plus hypocrites ; c’est pourquoi les diaconesses lisent dans l’âme même des malheureuses qu’elles se sont juré de ramener au bien. Elles ne les fatiguent point d’observations répétées, elles ne les énervent pas de conseils superflus, mais elles savent, au moment propice, dire le mot qui pénètre et reste dans l’esprit comme le germe d’une bonne semence dont le fruit mûrira plus tard.

La partie de la maison où sont renfermées ces pauvres filles pourrait s’appeler la claustration. Elles vivent là en deux groupes distincts, isolées, en quarantaine pour ainsi dire, dans une sorte de lazaret maternel où l’on tâche d’atténuer, où l’on veut guérir la peste morale dont elles ont été frappées. Hygiène de l’âme : les femmes y excellent, surtout lorsqu’elles l’enveloppent de cette tendresse qui accomplit des prodiges et qui, bien mieux que la rigueur, adoucit l’impétuosité native et amollit la dureté des caractères. Pour la plupart des pauvres filles que les diaconesses abritent sous leurs ailes, c’est déjà un bienfait que d’être loin des détestables exemples dont la famille est prodigue. Presque toutes ces brebis, qui se sont volontairement égarées, ont été corrompues dans le bercail même où elles auraient dû trouver protection. Plus d’une est tombée par esprit d’imitation, à moins qu’elle n’ait été entraînée à sa perte par ceux-là même qui en avaient la garde. En telle matière, toute sensiblerie, tout lieu-commun sur les vertus du peuple seraient coupables et contraires à la vérité. Loin de moi la pensée de prétendre que la classe populaire soit mauvaise et résolument vicieuse ; aussi bien que personne je sais quel dévoûment, quelle ardeur au travail, quelles mœurs sérieuses on peut, sans longues recherches, découvrir dans le monde ouvrier ; mais je sais aussi, et nul ne me contredira, quels périls inévitables offre l’agglomération des ateliers, des cités, des chambres où l’on dort pêle-mêle, et quels droits de préemption exerce la puissance des contremaîtres. Ce que le plus souvent nous considérons comme un crime, tout au moins comme un outrage à la probité, passe là pour une bonne aubaine dont on serait sot de se priver ; et puis la terrible parole : autant moi qu’un autre ! oblitère le sens moral et a parfois des conséquences si graves que toute une existence en est