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et bientôt par l’assassinat du duc de Berry, œuvre d’un fanatique de secte, comme le meurtre de Kotzebue en Allemagne. Au-delà des Alpes, la paix était plus apparente que réelle. Tous les gouvernemens d’ancien régime, ramenés par le reflux des événemens à Modène, à Parme, à Lucques, à Florence comme à Bologne et à Naples, ne provoquaient que des mécontentemens dans cette population mobile et passionnée. On entrait dans les affiliations secrètes du carbonarisme, un peu en haine de l’Autriche, dont la protection envahissante pesait au sentiment national, un peu en haine des petites cours italiennes, dont l’absolutisme, sans indépendance et sans lumières, froissait les sentimens libéraux des classes intelligentes. Et, comme si ce n’était pas assez, l’Orient fermentait déjà. A une vieille querelle de diplomatie qui se perpétuait depuis 1812, qui pouvait à tout instant finir par la guerre entre les Russes et les Turcs, allait s’ajouter bientôt l’insurrection grecque, commencée par « l’hétairie, » — une autre société secrète, — destinée à être tour à tour désavouée ou protégée par le tsar et à passionner l’Occident.

Partout le feu menaçait: M. de Metternich, qui avait de la sagacité et une idée fixe, ne s’y méprenait pas. Il suivait cette situation en Europe comme en Allemagne, et pour lui tous ces signes, tous ces incidens qui se liaient entre eux, n’avaient qu’un nom : c’était la révolution ! Il disait avec Gentz, son familier : « C’est la lutte, c’est la guerre à mort entre les anciens et les nouveaux principes, entre l’ancien et un nouvel ordre social... Tous les élémens sont en fermentation, tous les pouvoirs sont menacés de perdre leur équilibre. » Pour échapper au danger des révolutions qui se préparaient, il n’y avait qu’un moyen : c’était l’union intime, « calme et constante dans son action, » des principaux souverains de l’Europe, protecteurs et conservateurs de l’ordre public, — union dont la sainte-alliance n’avait été jusque-là que « le symbole incorrect et défectueux, » qui devait être le « contrepoids » des agitations désordonnées, le « noyau des forces organisées pour la défense de l’ancienne société européenne. » Se servir de l’alliance de 1815 pour contenir ou réprimer tous les mouvemens révolutionnaires, c’était l’objet avoué ou inavoué de la diplomatie de M. de Metternich, qui ne rêvait, en définitive, que de préparer un a Carlsbad européen ; » mais c’est là justement que les difficultés se pressaient à mesure que le théâtre s’étendait.

De loin, dans la perspective de l’histoire, la marche des choses semble assez simple : en 1820, au feu de l’action, tout était obscur et douteux. M. de Metternich se trouvait engagé dans une situation singulièrement compliquée où il rencontrait des dissentimens,