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plein de confiance, impatient d’action, allant à Carlsbad comme à un champ de bataille. « Les révolutionnaires allemands m’ont cru bien loin, écrivait-il dans l’intimité, parce que j’étais à cinq cents lieues. Ils se sont trompés; je me suis tenu au milieu d’eux et je frappe maintenant mes coups. Vous aurez trouvé une singulière coïncidence entre ces découvertes et les arrestations en Prusse et en Allemagne et mon passage des Alpes. Je suppose que l’on finira par le voir quand on apprendra que l’Allemagne se rassemble ici autour de moi. Le comte de Munster est ici; Rechberg, Wintzingerode, Berstett, le baron de Marshall, ministre dirigeant de Nassau, Bernstorf le Prussien vont y être... Nous ferons de la grande besogne. Sera-t-elle bonne? C’est ce que décidera le bon Dieu. Elle sera grande, car d’ici partira ou le salut ou la destruction définitive de l’ordre social... »

Quelle était donc cette œuvre de Carlsbad, qui allait effectivement prendre l’importance d’un événement européen et devenir une date de la politique allemande? M. de Metternich avait l’avantage de savoir ce qu’il voulait, d’arriver avec un programme tout tracé pour « assurer d’un commun accord le repos public : » suppression de la liberté de la presse et censure des journaux, réorganisation des universités désormais surveillées, soumises à une discipline sévère, avec exclusion des professeurs dangereux, institution d’une commission centrale d’enquête à Mayence, sorte de tribunal chargé de suivre et de réprimer les menées démagogiques dans toute la confédération. C’était déjà beaucoup d’enlever ces mesures d’un tour de main dans quelques conversations mystérieuses à Carlsbad; c’était bien plus extraordinaire de les faire sanctionner sommairement, sans discussion, peu de jours après, par la diète de Francfort[1]. Il restait pourtant encore à compléter et à couronner cet étrange ouvrage par une interprétation ou, suivant un heureux euphémisme, par une «rectification » du fameux article XIII de l’acte fédéral dont on avait abusé, qui n’avait servi jusque-là qu’à favoriser l’introduction en Allemagne, surtout dans l’Allemagne du Sud, des « constitutions démagogiques

  1. On ne se faisait, dans le premier moment en France, qu’une idée assez vague et même inexacte de l’origine et des particularités du congrès de Carlsbad, à en juger par ce que Charles de Rémusat écrivait à sa mère, le 2 octobre 1819 : «... Avez-vous fait attention aux nouvelles de Francfort et aux propositions du ministre d’Autriche à la diète, par suite des résolutions de Carlsbad? Voilà un acte bien insolite, et c’est la première fois qu’une convention diplomatique se mêle de régler les institutions civiles des pays qui ont envoyé leurs ambassadeurs. — Je ne m’inquiète guère du succès définitif de pareils actes, empruntés à la politique niveleuse de Bonaparte; mais ce qui est grave, c’est qu’il parait que le tout a été monté, exigé, imposé par l’empereur de Russie, que les termes de la déclaration sont une perpétuelle allusion à notre pays,— Et qu’enfin ceci est un véritable cordon tiré autour de la France... » (Correspondance de M. de Rémusat, t. VI, p. 133.)