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d’autres termes, il demande la permission de se passer de la loi générale ou de marcher sans elle. Elle n’est pas seulement inutile, cette loi nouvelle, elle est dangereuse, parce qu’elle soulève toute sorte de questions des plus graves, des plus délicates, sans les résoudre, parce qu’elle n’est le plus souvent qu’une fiction. Elle crée le service de trois ans, qui, par le fait, ne sera que de deux ans, et pas même de deux ans, parce qu’il n’y a pas de budget qui pût suffire à des incorporations démesurées. Elle décrète le nombre en affaiblissant fatalement l’instruction et la qualité du soldat. Elle accumule les masses militaires sans leur préparer des cadres vigoureux et solides. Si l’on voulait procéder sérieusement, avec prévoyance, la première condition était évidemment de s’occuper avant tout des cadres, des sous-officiers. C’était ce que pensait M. Gambetta il y a déjà bien des années, et ce que M. Mézières répétait récemment encore avec autant de fermeté que de raison patriotique. Les réformateurs d’aujourd’hui n’y regardent pas de si près, ils vont droit devant eux ! Et dans quel moment se plaît-on à remettre toute une organisation en doute, à tenter une expérience qui peut être désastreuse ? À un moment où, de l’aveu des réformateurs eux-mêmes, on ne sait pas ce qui arrivera dans six mois, dans un an, où la France peut être trop heureuse d’avoir pour sa défense ces institutions militaires qu’on ébranle, cette armée d’aujourd’hui qu’on décourage et qu’on trouble par des menaces d’innovations chimériques.

La vérité est que cette loi nouvelle, telle qu’elle apparaît, telle qu’on la fait, est moins une loi de défense nationale qu’une loi de parti, que dans la pensée de ceux qui la font, tout ce qui est militaire est subordonné à une fausse idée de démocratie, à une passion aveugle d’égalité à outrance et à un fanatisme de secte. Il ne s’agit pas d’avoir une bonne armée, une armée puissante par la cohésion, par la discipline, par l’esprit militaire : il s’agit de faire la guerre aux dispensés, de soumettre tout le monde au même niveau, de faire passer la jeunesse française tout entière à la caserne, sans tenir compte de la diversité des intérêts sociaux, des conditions nécessaires de la culture morale et intellectuelle du pays. Il s’agissait surtout d’étendre assez le filet pour ne pas laisser échapper les séminaristes, qu’on poursuit depuis si longtemps. C’est fait, c’est décidé aujourd’hui, au moins au Palais-Bourbon. Vainement quelques députés conservateurs, M. l’évêque d’Angers en tête, ont essayé de montrer que quelque quinze cents conscrits de plus n’ajouteraient guère à la force de l’armée, et que cette obligation, trop strictement pratiquée, pourrait nuire au recrutement du clergé ; vainement un député républicain, M. Laurençon, s’est efforcé d’obtenir, par transaction, que les séminaristes fussent classés parmi les infirmiers et les ambulanciers : il paraît que c’était là encore un privilège ! On n’a rien obtenu ; l’incorporation des séminaristes a été