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on parle de réformés et de catholiques, l’ellipse, pour être plus ancienne, n’en est pas moins de même espèce.

Nous conclurons qu’en matière de langage, il y a une règle qui domine toutes les autres. Une fois qu’un signe a été trouvé et adopté pour un objet, il devient adéquat à l’objet. Vous pouvez le tronquer, le réduire matériellement : il gardera toujours sa valeur. A une condition toutefois, savoir, que l’usage qui attache le signe à l’objet signifié reste ininterrompu. Reconstruire une langue avec le seul secours de l’étymologie est une tentative risquée, qui peut réussir jusqu’à un certain point pour le commun des mots, mais qui vient se heurter à ce genre particulier d’obstacle résultant des locutions. On le sent bien quand on déchiffre un texte dont la langue ne nous est point parvenue par une tradition restée vivante. L’origine des mots est souvent claire, la forme grammaticale ne laisse prise à aucun doute, mais le sens intime nous échappe. Ce sont des visages dont nous découvrons les traits, mais dont la pensée reste impénétrable. Les langues anciennes que nous connaissons véritablement sont celles qui nous sont arrivées accompagnées de lexiques et de commentaires : le latin, le grec, l’hébreu, le sanscrit, l’arabe, le chinois.

Littré, dans un charmant travail intitulé : Pathologie du langage, a réuni un certain nombre de faits du même genre[1]. Nous ne pouvons assez recommander la lecture de ce morceau, qui est un extrait de son grand dictionnaire, et comme un recueil de cas intéressans et curieux. Mais, ce que le grand savant français appelle pathologie est le développement normal du langage et l’événement de tous les jours. Les langues ne se prêtent qu’à ce prix à l’expression d’idées nouvelles ; il n’y a point là de maladie ; quand elles sont arrivées par un circuit à créer quelque terme nouveau, elles effacent le chemin par où elles ont passé. Aussi l’étymologie n’a-t-elle la plupart du temps qu’un intérêt historique. Dans la vie de tous les jours, dans la discussion d’idées philosophiques ou politiques, l’examen des origines d’un mot }>eut constituer un bon point de départ ; mais ce ne serait pas la preuve d’un esprit bien fait d’y insister trop fortement et d’en tirer de trop longues ni de trop importantes conséquences.

Les mots, a-t-on dit avec raison, sont des verres qu’il faut polir et frotter longtemps, faute de quoi, au lieu de montrer les choses, ils les obscurcissent. Le souvenir trop présent de l’étymologie nuit souvent à l’expression de la pensée, qu’il risque de troubler par toute sorte de faux reflets. Le travail des siècles et le bienfait

  1. Littré, Études et glanures.