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complication; mais de toutes les difficultés, la plus sérieuse peut-être était l’appui que le mouvement semblait trouver à Saint-Pétersbourg, auprès de l’empereur Alexandre et de son ministre, M. Capo d’Istria. L’empereur Alexandre en était encore à sa phase libérale ; il venait lui-même de donner une constitution aux Polonais, il se croyait le garant des libertés promises aux Allemands en 1813, il encourageait de sa faveur, de sa diplomatie toutes les revendications. C’était une complication de plus. M. de Metternich ne s’y méprenait pas. Il voyait dans le mouvement révolutionnaire allemand un épisode d’un mouvement plus général. « Je vous réponds, écrivait-il à Gentz, qui était toujours son confident et son correspondant pendant ses voyages, je vous réponds que le monde était en pleine santé en 1789 en comparaison de ce qu’il est aujourd’hui... » Il se croyait appelé à sauver l’Allemagne et le monde de la révolution, comme il les avait sauvés du conquérant en 1813!

Comment et sous quelle forme éclaterait la lutte? C’était la question pour M. de Metternich, qui avait assez de patience pour ne rien précipiter, assez d’expérience pour s’attendre et se préparer à tout. Il avait mis en jeu tous les ressorts de sa diplomatie auprès des petites cours, à Munich et à Stuttgart, à Weimar comme à Bade, employant tour à tour la séduction ou la menace avec les états entraînés dans le courant libéral. Au congrès d’Aix-la-Chapelle, réuni pour mettre fin à l’occupation militaire de la France, il s’était rencontré avec le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, qu’il avait vivement ému par ses représentations, chez qui il s’était étudié à réveiller les instincts du prince absolu, et il avait même dès ce moment proposé tout un programme de répression contre la presse, contre les universités, contre toutes les menées agitatrices. Il s’était efforcé aussi de parler à l’imagination mobile de l’empereur Alexandre en lui montrant les dangers d’une politique qui tendait à un bouleversement universel, en invoquant les principes de la « sainte-alliance » des rois. Il avait peut-être ébranlé quelques résolutions sans rien décider, lorsque tout à coup survenait un événement qui était la révélation tragique de l’état violent de l’Allemagne, qui offrait au chancelier autrichien l’occasion ou le prétexte d’une action plus décisive contre les agitations et les constitutions. C’était l’assassinat de Kotzebue, préliminaire sanglant d’un drame ou d’une comédie de haute diplomatie !

Allemand d’origine et popularisé un instant par ses ardeurs contre la France, enrôlé en 1812 au service du tsar et revenu en Allemagne avec le titre de conseiller d’état russe, Kotzebue publiait un journal, la Feuille hebdomadaire et littéraire, où il combattait souvent les rêves des agitateurs. Il avait soulevé contre lui les fureurs