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quand les partis ne seront plus dominés par l’autorité du chancelier, par le respect qu’inspirent ses succès prodigieux et par cette considération que les hommes accordent toujours à quiconque a fait tuer beaucoup d’hommes? quand enfin on aura porté en grande pompe dans les caveaux de Postdam le vieil empereur, dont l’Allemagne entière vénère la simple et tranquille majesté? L’avenir dépend des circonstances, de la volonté de telle personne qui peut détendre les ressorts et essayer du régime parlementaire ; de telle autre qui les comprimera jusqu’à les briser. Il dépend des accidens, d’une mort, d’un crime, d’une guerre. Verra-t-on le roi de Prusse et ses alliés, comme l’a dit M. de Bismarck à la veille de la dissolution du Reichstag, « reprendre les sacrifices qu’ils ont faits à l’empire » et chercher une autre forme de l’unité, ou bien le parlement mis en possession des prérogatives parlementaires, le pouvoir impérial s’affaiblir, les partis se disputer le gouvernement, et le Reichstag, où aucune majorité n’est possible, devenir une tour de Babel, au pied de laquelle les peuples allemands exprimeront en leur langue unique la diversité confuse de leurs sentimens? Arrivera-t-il alors, comme le prévoit M. de Bismarck, qu’une « majorité démocratique,.. sans patriotisme et sans conscience, » envahira la représentation de l’empire ? Enfin ce professeur d’université, qui a fait de si curieuses confidences à l’auteur de l’Allemagne actuelle aurait-il vu juste en annonçant qu’un jour le socialisme, comme jadis la réforme, mettra ses armées en campagne, et, par la guerre civile et sociale, où disparaîtront toutes les formes du passé, édifiera au milieu de l’Europe l’Allemagne de l’avenir ? Une chose est certaine, c’est que la constitution présente de l’Allemagne est accidentelle et passagère.


IV.

Un des grands mérites de l’auteur de l’Allemagne actuelle est de nous donner une impression juste. Aussi ne s’est-il pas contenté de montrer quelques-uns des défauts graves de la constitution de l’empire, il a commencé par en vanter la force présente ; il a fini en nous conseillant la prudence et en prêchant la paix.

La force est encore intacte. Le pays est divisé, mais l’armée ne l’est pas; la propagande socialiste pénètre dans les casernes, mais elle n’a enhardi aucune recrue jusqu’à la désobéissance ; les partis parlementaires se querellent avec le chancelier, mais le soldat est soumis à l’empereur. L’armée a ce caractère singulier qu’elle est à la fois l’armée d’un peuple et l’armée d’un homme : tout un pays