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là ce mouvement original qui remplissait ces quelques années, de 1815 à 1819, qui est pour l’Allemagne comme une première et décevante expérience de vie publique.

Curieuses années où partout régnait une animation extraordinaire! Tous ces gouvernemens, qui avaient à dégager une parole donnée dans la lutte, n’étaient pas, à la vérité, également sincères ou également pressés ; ils avaient aussi à tenir compte de bien des circonstances, des conflits d’opinions ou d’intérêts qui s’agitaient autour d’eux; et, chose à remarquer, de tous ces états, celui qui avait éveillé le plus d’espérances, qui était le mieux placé pour rallier les aspirations allemandes, paraissait le plus hésitant : c’était la Prusse! La Prusse ne désavouait pas ses engagemens, elle temporisait sans cesse; elle semblait faire un pas, elle nommait des commissions pour préparer une constitution, elle ne tardait pas à s’arrêter. Esprit étroit et méticuleux, jaloux de son droit de prince absolu, le roi Frédéric-Guillaume flottait entre les excitations qui le poussaient en avant et la réaction prête à le ressaisir, entre le chancelier de Hardenberg, qui passait pour représenter au pouvoir le parti des réformes, et le prince Wittgenstein, l’adversaire des innovations, l’allié des grandes influences absolutistes. L’heure des ambitions prussiennes n’était pas venue ! Les autres états, surtout les états du Sud, soit par esprit de rivalité et d’indépendance vis-à-vis de la Prusse et de l’Autriche, soit pour se donner un rôle en Allemagne, soit enfin qu’ils fussent plus ouverts aux idées nouvelles après avoir passé par la confédération du Rhin, entraient par degrés dans le mouvement constitutionnel. Un des premiers princes conquis à la cause libérale avait été le grand-duc de Saxe-Weimar, Charles-Auguste, l’ami de Goethe, protecteur des lettres et des arts, qui, après avoir fait de sa ville de Weimar l’Athènes de l’Allemagne, mettait une sorte de loyauté naïve à laisser fleurir toutes les libertés politiques ou intellectuelles dans son petit état. Saxe-Weimar avait sa constitution dès 1816. La Bavière allait avoir la sienne en 1818, le grand-duché de Bade suivait de près la Bavière. Le Wurtemberg, non sans avoir passé par bien des conflits obscurs, finissait aussi par avoir sa charte, et toutes ces constitutions se ressentaient plus ou moins des idées, des influences françaises, en dépit de l’esprit teuton et de l’esprit de réaction.

L’impulsion était donnée ; elle était bien autrement vive en dehors des gouvernemens, dans les polémiques de la presse, dans les universités, où toutes les passions encore chaudes de la guerre se donnaient libre carrière. L’insurrection morale dont un Fichte avait été le promoteur par ses prédications éloquentes et enflammées, qui avait fait la force de l’Allemagne dans sa crise nationale, continuait après