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car le catholicisme allemand est une puissance redoutable.

Sous l’uniformité de la doctrine et de la discipline, le catholicisme laisse subsister la riche variété du sentiment religieux. Tous ceux qui ont voyagé ont pu surprendre, chez les différens peuples, les nuances diverses de la piété, pourvu qu’ils aient eu soin d’entrer dans les églises aux heures où elles sont remplies par la foule, mais aussi aux heures silencieuses où quelques rares fidèles prient dans la solitude. J’ai vu dans les églises du pays rhénan des femmes du peuple et des paysans à genoux par terre, leur panier ou leur bâton déposé près d’eux : ils avaient les bras étendus en croix devant un crucifix où l’image du Christ était celle d’un martyr agonisant dans la douleur, suspendu par des plaies horribles, abandonné, lamentable. Ils le regardaient avec une piété touchante, s’apitoyaient, semblaient lui faire des confidences douloureuses et lui demander sa miséricorde en échange de leur compassion. Je parlais tout à l’heure de la religiosité allemande : le calme habituel de la vie, la lenteur des mouvemens, la résignation, je ne sais quelle inaptitude à se dépenser au dehors, sont des conditions favorables à la croissance de ce sentiment.il prédisposait les Allemands au protestantisme, c’est-à-dire à l’intimité directe avec Dieu dans le temple dénudé ou dans la paix du foyer domestique; il donne à ceux qui sont demeurés catholiques le sérieux, la dignité, la profondeur de la foi.

Les luttes que le catholicisme a soutenues en Allemagne, le combat pour l’existence que la réforme lui a imposé, ont eu des effets salutaires; de même la révolution française qui, en détruisant les principautés ecclésiastiques, a effacé les derniers abus du passé et spiritualisé l’église. Aujourd’hui, les catholiques allemands montrant, avec un légitime orgueil, la part qu’ils ont prise à la vie intellectuelle et morale de leur patrie. Ils disent que la fécondité de cette vie procède de la collaboration rivale des deux esprits; l’inspiration catholique et l’inspiration protestante se retrouvent en effet dans l’art, dans la peinture, dans la musique, dans la poésie, dans la philosophie. Les plus grands des Allemands confondent l’une et l’autre dans leur génie : Beethoven, par exemple, et Goethe. Le catholicisme enfin sait très bien, dans la savante Allemagne, se servir de la science : les facultés théologiques des universités sont laborieuses ; elles défendent le dogme et l’histoire de l’église, et les écrivains catholiques ont une conception plus haute, plus poétique et plus vraie de l’histoire allemande au moyen âge que les libéraux, qui prétendent la juger avec la froide raison de l’esprit contemporain. Bref, le catholicisme est chez nos voisins autre chose