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politiques furent terminées, les deux partis demeurèrent en présence sur le terrain et se le partagèrent. Dans le grand assoupissement qui suivit la bataille, catholiques et protestans s’accoutumèrent à vivre les uns à côté des autres : aucun conflit ne troubla la léthargie de l’ancien empire. Certains princes ayant usé du droit d’imposer leur religion à leurs sujets et d’expulser les dissidens, l’une des deux confessions domina exclusivement dans plusieurs états ; ailleurs elles cohabitaient. Les grands remaniemens territoriaux opérés au commencement de ce siècle multiplièrent ces mélanges, et partout on s’accorda sur un modus vivendi : l’église catholique ne vécut nulle part plus tranquille, plus libre et plus honorée que dans le royaume de Prusse. Cependant ce sont les victoires de la Prusse en 1866, et surtout la constitution de l’empire en 1870, qui ont réveillé en Allemagne les passions religieuses. Il est malaisé de dire à quelle heure a commencé la lutte et de déterminer qui a tiré le premier. Les deux partis rejettent l’un sur l’autre la responsabilité de l’offensive, et l’on sait que M. de Bismarck a déclaré qu’elle ne venait pas de lui. Elle est venue en effet de plus puissant que lui, de la force des choses. Pour les catholiques qui se souvenaient avec piété de la grande Allemagne d’autrefois, des luttes mais aussi de l’accord du sacerdoce et de l’empire, ce fut un double coup de théâtre inquiétant que l’entrée de Victor-Emmanuel à Rome et la proclamation du nouvel empire à Versailles. Le pape est dépossédé, enfermé au Vatican : l’empereur est un protestant, un parvenu de la réforme. Au même moment, l’Autriche est mise hors de l’Allemagne, et le catholicisme tombe à l’état de minorité. Instinctivement, il se met sur la défensive. D’autre part, quelques protestans zélés, des prédicateurs en vue saluaient le triomphe de la réforme, la grande revanche prise sur les jésuites et les Habsbourg, voire même sur la mort de Conradin et sur l’humiliation de Canossa, car, la mémoire des Allemands étant ainsi faite que leurs souvenirs s’entassent pêle-mêle au même endroit, tout à l’entrée, ils ont l’étonnante faculté d’évoquer instantanément les haines et les passions d’une longue histoire. Enfin les catholiques voyaient le parti national-libéral se rallier à M. de Bismarck et devenir l’instrument principal de l’unification; or, ce parti détestait l’église, et l’affranchissement de la société laïque était un des articles de son programme. C’est lui certainement qui a été l’âme du Kulturkampf.

Il s’est donc formé dans le pays et dans le parlement un grand parti, le centre, que les libéraux appellent le Centre noir. L’église, autrefois disséminée dans les différens états de la confédération, s’est concentrée en un bataillon carré, très fort et de haute apparence,