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l’esprit prussien, c’est l’esprit d’un gouvernement, d’une cour, d’une armée, d’une administration. Ce gouvernement n’a pas toujours été populaire en Prusse : peu d’hommes ont été haïs plus vigoureusement que le roi Guillaume et son premier ministre. Ce gouvernement a ses habitudes prises, ses concepts arrêtés ; il se trouve aujourd’hui en présence d’une Allemagne, Prusse comprise, où il rencontre, avec toutes les résistances qui se sont dressées devant lui en Prusse, des oppositions nouvelles. Parviendra-t-il à les désarmer ou à les dompter? De cela dépend tout l’avenir de l’Allemagne unifiée.


II.

La constitution a permis à l’Allemagne de révéler ses sentimens par ces deux articles, très solennels dans leur simplicité :

« Le Reichstag est élu par le suffrage universel direct et au scrutin secret.

« Les membres du Reichstag représentent la nation entière et ne sont liés par aucune instruction ou mandat. »

La nation ainsi appelée à manifester sa conscience intime, depuis si longtemps muette, n’a exprimé ni des idées ni des passions inconnues. Si philosophique, si riche que soit l’Allemagne en façons d’être intellectuelles et morales, elle n’a rien imaginé que n’aient trouvé les peuples européens. Elle s’est fait représenter par des conservateurs et par des libéraux de nuances diverses, par des catholiques et par des socialistes. Tous les gouvernemens trouvent le moyen de vivre avec ces partis. Pourquoi donc la vie parlementaire est-elle si difficile dans l’empire allemand? Examinons, pour chercher la réponse, le caractère et la nature de chacun des groupes politiques; mais, avant de les passer en revue, il faut s’arrêter devant un parti singulier, qui n’est point ne de l’Allemagne elle-même et dont la Prusse a doté l’empire. Il se compose de Polonais, de Danois, d’Alsaciens, de Lorrains. Les Polonais n’étaient pas compris dans l’ancienne confédération : l’Autriche et la Prusse avaient conquis, à la fin du siècle dernier, leur part de Pologne, mais chacune d’elles gardait ses Polonais à son compte. Dès 1866, la Prusse a transporté dans la confédération de l’Allemagne du Nord cette colonie de vaincus et de sujets : ils y ont rencontré les Danois du Slesvig annexés de la veille. Après 1870, nos compatriotes ont rejoint ces victimes de la politique et de la guerre. Les sentimens qui animent cette trinité ne sont pas tout à fait semblables. Les Polonais, les Danois, les Lorrains français ne parlent