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temps qu’elles assouvissaient leurs cupidités. Le congrès de Vienne, sous ses dehors de fêtes de cour et de plaisirs mondains, avait été une vaste curée de territoires, de provinces, d’âmes, comme on disait alors. On s’était distribué ou disputé les dépouilles du vaincu. Hormis la France, qui rentrait dans ses limites, suspecte et surveillée, c’était à qui aurait sa part de butin : — La Russie en Pologne, la Prusse sur l’Elbe et sur le Rhin, l’Autriche en Allemagne et en Italie, l’Angleterre sur toutes les mers. De cet amas de ressentimens, de convoitises, d’intrigues, d’âpres compétitions, cependant, était sorti un nouveau système européen, qui, à quelques égards, pouvait passer pour une transaction après le combat, qui se donnait surtout pour objet de fonder la paix, — une paix plus ou moins durable, — par l’équilibre des ambitions satisfaites.

Les traités de 1815, code de l’Europe remaniée par la victoire, se ressentaient, à vrai dire, des circonstances extraordinaires qui les avaient produits. Ils étaient, selon le mot d’un des auteurs, l’expression de la volonté dictatoriale de quelques puissances, de leurs contradictions, de leurs conflits, et souvent aussi du hasard. Ils offraient un singulier mélange de réminiscences d’ancien régime et de concessions à l’esprit du temps. Ils ne pouvaient reconstituer la vieille Europe bouleversée et transformée par vingt-cinq années de guerre, par des déplacemens ou des suppressions de souverainetés, par l’avènement de royautés nouvelles; ils refaisaient, en prenant du passé ce qu’ils pouvaient, un certain ensemble politique et territorial, sous la prépotence des chefs de la coalition victorieuse, de la « quadruple alliance » survivante, qui s’appelait aussi la « sainte-alliance. » Ils ne pouvaient relever l’Allemagne du saint-empire, détruite par les sécularisations, par l’abolition du titre impérial germanique, par le mouvement irrésistible des choses; ils reconstruisaient ou ils essayaient de reconstruire une autre Allemagne à la fois ancienne et moderne, unie et multiple, liée par une fédération aux traits encore indécis, sous la prépotence de l’Autriche et de la Prusse. Ils créaient en définitive le cadre d’une vie nouvelle où les artifices de la conquête et de la force se déguisaient sous les apparences d’une restauration de tous les droits, où peuples et gouvernemens se précipitaient pêle-mêle avec leurs ressentimens satisfaits, leurs ambitions et leur orgueil. Ce n’était pas, autant qu’on le croyait sur le moment, le dernier mot du grand duel qui partageait et passionnait le monde depuis si longtemps. La lutte s’interrompait tout au plus ou changeait de face, pour recommencer bientôt dans d’autres conditions, avec d’autres hommes, et c’est au milieu de ces complications, sur un théâtre renouvelé, que se retrouve M. de Metternich, non plus en antagoniste de celui