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cœur perdu et la poussaient du premier coup à l’ascétisme monacal, surtout parmi les fils des maisons patriciennes; leur vieux sang romain demandait à s’employer encore à de fortes œuvres ; rien ne lui offrait cet emploi ; ils prenaient en dégoût la richesse, le plaisir, l’orgueil de la condition. C’est une erreur vulgaire de croire que les premiers moines furent des mendians et des ignorans. Elle naquit dans le patriciat de race et d’esprit, cette étrange soif d’obéissance et de pauvreté.

Benedictus de Nursia fut un de ceux-là. Il se réfugia d’abord dans sa grotte de Subiaco. Rome était trop près. L’ermite chercha plus loin dans les montagnes, en descendant vers le sud, et il choisit ce lieu. On aurait peine à trouver un site qui traduisît plus clairement pour les yeux tout le sens et les exigences de l’état monastique : les joies terrestres laissées en bas, les rudes cimes où il faut se maintenir, les grands horizons qui doivent occuper l’âme, le ciel proche vers lequel elle tend. Sommet solitaire, le Mont-Cassin se détache du massif des Apennins à l’entrée des plaines de la Campanie; elles se déroulent à ses pieds, de Ponte-Corvo à Capoue, tièdes et charmantes, arrosées par le Liri et ensuite par le Garigliano. De cet observatoire, on embrasse tout le vaste amphithéâtre de montagnes qui abaisse ses gradins autour de la vallée, depuis les crêtes neigeuses des Abruzzes jusqu’aux rameaux de la chaîne centrale, mollement infléchis vers le golfe de Gaëte. Une échancrure de ces derniers laisse apparaître un petit coin de mer à l’extrême horizon, par-delà Gaëte; on ne le voit que par les midis de grand soleil, brillant au bord du ciel comme un morceau de miroir brisé. Dans la plaine, le printemps de Naples sourit, avec ces premiers jours d’avril; l’air est chaud, la vie travaille, les pêchers fleuris mêlent partout un brouillard rose au brouillard gris des oliviers. A mesure qu’on s’élève vers le monastère, on sent fuir le printemps et revenir l’hiver ; sur le plateau que l’abbaye couronne, un air vif souffle des neiges voisines, le froid du cloître vous saisit sous les voûtes nues des hautes galeries. Peu de végétation sur ces pentes rocheuses, des arbres plus tristes, le chêne vert et des buissons épineux ; dans les jardins de la communauté seulement, quelques transfuges de la plaine se hasardent. De la terrasse où ils se promènent, les moines peuvent respirer encore, comme un faible rappel de la douce saison d’en bas, les fleurs pâles des amandiers.

De cette terrasse, ils voient sous leurs pieds toute la terre de Labour ; on dirait une carte en relief, avec les détails distincts et l’éloignement irréparable des choses qu’on regarde dans le passé. Sur la place du marché de San-Germano, à pic au-dessous de nous.