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le vrai Nangis arrive, lui aussi, au palais Laski : il va brouiller les cartes ; mais, sur un mot, sur un signe de Henri, il consent à passer pour le roi. Voilà déjà deux rois malgré eux. Peu à peu, le patriotisme des Polonais s’exalte : ils ne veulent plus seulement l’expulsion du prince étranger, mais sa mort, et le faux Nangis (vrai roi) est désigné par le sort pour tuer le faux roi (vrai Nangis). Heureusement, une jeune esclave de Laski, Minka, éprise de Nangis, le fait évader. Alors le vrai roi s’enfuit aussi ; alors il arrive dans une auberge, où tout le monde se rencontre. Alors Minka s’imagine que celui qu’elle croit le roi a été tué par celui qu’elle croit Nangis ; alors Nangis survient, et Minka est heureuse, et elle se marie, et alors Henri est rattrapé par les Polonais, et il est roi malgré lui… C’est un peu embrouillé, n’est-ce pas, cette pièce-là ? et les pauvres critiques musicaux en savent mal « développer l’embarras incertain. » Au troisième acte, on ne comprenait plus du tout, on était en nage. Il était toujours question d’une servante qui devait servir de guide ! Quel succès elle aurait en !

Malgré tout, ce livret n’est pas pire que bien d’autres ; il ne manque absolument ni de gaîté ni d’esprit. La Pologne est moins banale que l’Espagne ou l’Italie ; si le rôle d’Alexina est insipide, celui de Minka est gentil ; le premier acte s’annonce bien : il plaît par la mélancolie de ce prince qui regrette le doux pays de France, par la grâce de la petite esclave, par quelques mots heureux de Fritelli.

Ce qui vaut le moins, ce sont les vers. On les a pourtant commandés, ou demandés à un poète, anonyme ici, mais célèbre, assembleur de rimes éclatantes, apôtre lyrique du pessimisme, du cynisme et de la désespérance, enfant des races touraniennes ! Ayez donc des ancêtres qui ont habité entre la chaîne du Thibet et l’Océan, entre la mer Caspienne et la mer du Japon, pour écrire ces deux couplets :

Ah ! dans mon cœur
Douce liqueur
Que vos paroles !
Je n’ai plus peur,
Noire vapeur,
Au loin tu t’envoles !
Ah ! dans mon ciel
Doré du miel
De vos paroles, «
Quels tourbillons
De papillons
En rondes folles !


Et dire que là-dessus le musicien a écrit l’une des plus jolies pages de sa partition ! Puis croyez à l’influence des paroles sur la musique !