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constitution des plus libérales, dont ces derniers se gardèrent bien, et pour cause, de réclamer les bénéfices. En septembre 1874, il abdiquait et cédait officiellement son royaume à l’Angleterre. Cet acte d’abnégation, motivé par les sérieuses appréhensions que lui inspirait Maafu, roi de Tonga, qui menaçait de le détrôner, fut récompensé par une pension libérale que lui alloua le gouvernement anglais. Affranchi des soucis du pouvoir, Thakamban accepta l’invitation que lui adressa sir Hercules Robinson de visiter Sydney. Il s’y rendit à bord d’un bâtiment de guerre mis à sa disposition et passa un mois à Sydney, fort étonné de tout ce qu’il y vit, puis il rentra chez lui. Mais la civilisation devait lui être fatale ; il revint d’Australie avec la rougeole et mourut peu après, non sans avoir communiqué son mal à son entourage. L’épidémie importée par lui sévit avec violence dans tout l’archipel et coûta la vie à plus de quarante mille Fijiens. Les survivans estimèrent que Thakambau se donnait là de belles funérailles, et que, s’il s’était contenté de rester roi des cannibales, on n’eût, après tout, égorgé que dix-huit femmes pour l’escorter dans l’autre monde.

Ce Maafu, roi de Tonga, l’ennemi intime de Thakambau, est un autre type curieux de la race qui peuple ces archipels. Maafu, lui, se tenait pour un homme civilisé ; il se croyait protestant, de la secte wesleyenne, ce qui ne l’empêchait pas de passer la plus grande partie de sa vie, étendu sur des nattes, à contempler les évolutions de ses danseuses. Il en entretenait tout un corps de ballet. En outre, il avait toujours à ses côtés, par suite d’une manie assez bizarre, plusieurs femmes à la chevelure épaisse et crépue. Sa manie consistait à plonger ses mains dans leurs crinières et à leur cogner la tête contre le plancher quand quelque chose le contrariait. Un ordre était-il mal compris, tardivement exécuté, Maafu cognait comme un sourd pour hâter ses serviteurs. C’était sa sonnette d’appel, son tam-tam, son gong. Il va sans dire qu’on devait les remplacer souvent.

Maafu mesurait six pieds de hauteur ; il était robuste et fort, malgré son indolence dont il ne s’arrachait que dans les grandes occasions, mais alors il déployait une énergie et une activité physique peu communes. Il n’était pas naturellement sanguinaire ; il s’estimait même bon et doux, facile à vivre ; cependant, quand il frappait, il frappait fort. Il laissait à son peuple une assez grande liberté, mais se montrait intraitable pour ce qui lui était dû, et n’entendait pas raillerie sur le paiement des taxes. Ce qu’il avait le mieux compris à la civilisation, c’était la perception des impôts. Reconnu par l’Angleterre comme vice-roi du groupe des îles Lau, il se rendait une fois par an à Levuka pour y toucher son traitement de 15,000 francs et pour faire son rapport au gouverneur, rapport d’un laconisme