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qu’à l’aide d’un commentaire, quel que soit le talent qu’on y mette, sera toujours une statue imparfaite.

Les titres étranges ou ambitieux, s’ils ne sont pas du premier coup justifies, ne font qu’étourdir le spectateur et nuire au succès de l’œuvre elle-même. M. Osbach, par exemple, a modelé avec vigueur un homme de haute stature, qui descend rapidement une côte, en se tenant la tête, avec des gestes d’effroi. Effrayé par qui ? Effrayé par quoi ? Il faudrait d’abord le savoir. Il parait que c’est un Géant foudroyé. Mais comme nous ne voyons ni la foudre ni le foudroyeur, nous ne comprenons pas tout de suite. Jupiter et sa foudre sont malheureusement restés dans la coulisse, comme y sont restés, dans la composition de M. Astruc, le roi, la reine et les comédiens, qui nous expliqueraient seuls l’attitude de l’Hamlet. Des figures semblables ne sont vraiment à leur place que dans un groupe où les figures s’associent dans une action commune et dans un ensemble décoratif où elles s’expliquent mutuellement. Pourquoi le vieux mendiant à longue barbe flottante de M. Legueult, qui traîne en marchant la jambe avec un mouvement de fatigue fort bien indiqué, veut-il absolument s’appeler le Juif errant ? Parce qu’il porte une petite sacoche de cuir à sa ceinture ? Mais cet accessoire est bien insuffisamment caractéristique pour évoquer en nous, avec la précision indispensable, le souvenir de la légende populaire ! Quand Ahasvérus se présente seul sur les images d’Épinal, il est entouré d’une complainte explicative et porte d’ailleurs un accoutrement très reconnaissable dont M. Legueult l’a dépouillé, en bon sculpteur, ne lui laissant que sa longue barbe et ses longs cheveux. Cette estimable figure, modelée avec une souplesse facile, par méplats finement nuancés, dans le style libre et pittoresque de notre XVIIIe siècle, aurait été appréciée à notre ancienne Académie royale, mais elle ne serait pas moins bonne si elle s’appelait seulement le vieux mendiant. Pardonnons donc à tous les chercheurs de beauté féminine et masculine s’ils se contentent de reprendre, pour exprimer leurs rêves, les thèmes les plus rebattus ; ces thèmes rebattus sont parfois encore ceux qui semblent les plus neufs.

Il n’est guère de sculpteur, par exemple, qui n’ait sur la conscience un Abel ou un David, une Vénus ou une Diane, car, dans le courant de sa vie, il a sûrement éprouvé, à une certaine heure le désir d’étudier la forme humaine dans ce qu’elle a de plus délicat, la forme de l’adolescent et la forme de la femme. Les Davids pourtant n’ont pas trop donné cette année : nous ne remarquons guère que le David vainqueur de M. Béguine, figure d’étude bien campée et fermement modelée, à laquelle le jeune artiste joint une Charmeuse, jolie nymphe, rieuse et dodue, soufflant à pleines joues