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quelques arpens de terre aux bords du Tibre ? Quel souci prendra-t-on, dans l’Oural ou dans les Montagnes-Rocheuses, des rapports existans entre le pontife universel et le gouvernement civil de l’Italie, gouvernement dont la forme à cette époque reste très conjecturale ? Il suffit de poser ces questions, en regard du tableau que j’ai esquissé, pour montrer leur parfaite insignifiance.

Je dois borner ces réflexions. Je n’ai pas en la prétention d’embrasser avec méthode un aussi vaste sujet, encore moins celle de n’y point commettre d’erreurs. Mon unique ambition est de faire méditer sur ces graves matières ceux qui auront bien voulu me suivre, et de leur suggérer d’autres réflexions, peut-être plus justes que les miennes. Les âmes timorées me reprendront sur beaucoup de points. Je leur demande seulement de ne pas voir l’impertinence d’un donneur de conseils là où je n’ai fait que reproduire l’opinion des autorités les plus respectables, là où j’ai usé du droit qu’a tout historien, celui de prévoir les conséquences des actes et de déterminer la direction des courans humains, sans préjudice de ce que chacun accorde, dans le for intérieur de ses convictions, à l’intervention divine. Je leur demande de ne point abuser des gros mots sans nuances, de ne pas me faire appeler « un pape socialiste. » La sagesse et la lenteur d’évolution du souverain pontificat nous garantissent assez contre l’application brusque des principes ; il ne peut être question à ces hauteurs que d’une marche prudente vers les nouveaux horizons. Quant à ceux que scandaliserait la liberté de mon langage, je les rappelle à la tradition française ; elle est bien oubliée, cependant on la retrouverait partout, dans les lettres de nos rois, les dépêches de nos ministres, les édits de nos parlemens, les écrits de nos polémistes. Nos pères n’eussent rien compris à ces deux excès fréquens aujourd’hui : un ministre qui monte à la tribune pour gloser sur des points de dogme, un publiciste catholique qui garde un silence dévot lorsque la politique romaine se méprend sur les intérêts de notre pays. Quand les Français d’autrefois avaient affaire au double prince de Rome, leur pratique était constante : ils se courbaient sous la main du prêtre et se relevaient pour parler au roi. Mais qu’importent les interprétations fâcheuses ? Il faut dire comme un de ces évêques d’Amérique, qui engageait devant nous des laïques à rechercher le terrain d’accord entre la science et la foi ; on lui objectait les chances d’erreur et la vigilance des censeurs ecclésiastiques ; il répondait : « Lorsque Christophe Colomb a découvert notre terre, il a aventuré quelques petits bateaux ; s’ils avaient incliné plus au sud, ils étaient perdus ; c’était une chance à courir : on ne découvre et l’on ne gagne rien sans risquer quelques petits bateaux. »

Je veux dire encore une dernière réflexion ; je crois bien que