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bien mesurer la force des idées à la taille des hommes qu’elles suscitent. Il ne convient point de prononcer des noms, l’acception de personnes est chose malséante quand on parle du sacerdoce ; tous ceux qui suivent le mouvement religieux au dehors connaissent ces noms. Ils décorent l’église française d’Afrique, qu’il faut citer tout d’abord et avec orgueil ; l’église de Croatie, où un prélat de génie a su se créer une véritable souveraineté ; la vaillante église arménienne de Turquie, où j’ai vu accomplir, pendant une suite d’années difficiles, des prodiges d’énergie dignes des premiers siècles du christianisme ; les églises de Prusse, d’Angleterre et surtout d’Amérique. .Je m’arrêterai un instant sur cette dernière ; elle est la moins connue, elle offre le type achevé de ces grandes provinces autonomes que le catholicisme doit s’efforcer de reconstituer ; enfin, elle vient de donner le branle aux esprits dans la plus importante des questions.

Les États-Unis comptent 10 millions de catholiques sur 50 millions d’habitans. Pour se représenter la signification du chiffre, déjà respectable par lui-même, il faut savoir qu’aucune des communions protestantes n’en approche, et que la force d’attraction de ce noyau est en raison de sa densité, par rapport aux sectes désagrégées qui l’entourent. Il faut se dire que ce ne sont pas là des adhérens nominaux, faisant nombre sur une feuille de statistique ; mais des catholiques pratiquans, soumis à leurs pasteurs, des catholiques jusqu’au fond de la bourse, ce qui est en dernière analyse l’épreuve de la foi. Partout des cathédrales s’élèvent et sont desservies avec les subventions volontaires des fidèles. La ville de Saint-Paul, qui comptait il y a quarante ans 800 habitans, bâtit une église sur un devis de 500,000 dollars, près de trois millions de francs. Soixante-quinze archevêques ou évêques dirigent ce troupeau ; ils se réunissent fréquemment dans des conciles nationaux ; les États-Unis sont peut-être aujourd’hui le seul pays où rien ne vienne entraver de semblables réunions. J’ai eu l’honneur de m’entretenir avec les chefs du clergé américain, lors de leur récent passage en Europe ; je ne saurais rendre l’impression de force tranquille et de largeur dans les idées que m’ont laissée ces hommes éminens. J’en demande pardon à leur modestie, mais nous vivons à une époque où tout ce qui peut servir doit se dire très haut. L’un d’eux, un apôtre et un penseur, fait comprendre les conquêtes des grands évêques du IVe et du Ve siècle, pionniers de l’église chez des races neuves ; il fait comprendre aussi le mot des pèlerins d’Emmaüs : « Notre cœur était ardent tandis qu’il parlait. » Les Américains le reconnaîtront sans peine. Tout est bien du Nouveau-Monde dans les sentimens et les