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planète la civilisation supérieure dont nous sommes dépositaires. A l’inverse de la démocratie, qui voit clairement son but, mais qui ignore les moyens de l’atteindre, le mouvement expansif, — appelons-le cosmopolitisme, faute d’un meilleur mot, — demeure en général indifférent à sa fin dernière, qui lui est voilée par des intérêts particuliers ; mais il la sert par des moyens connus et d’une efficacité certaine.

Jamais peut-être l’humanité ne fut employée simultanément à deux tâches plus belles et plus dignes de son effort ; jamais elle n’en poursuivit d’aussi dangereuses. La démocratie, impatiente du but et ignorante des moyens, risque de détruire les sociétés qu’elle veut améliorer ; c’est une question de savoir si elle ne sombrera pas dans la barbarie avant d’avoir touché son idéal. Le cosmopolitisme ruine irréparablement l’idée de patrie, en mêlant partout les races et les intérêts ; embarrassés par leurs acquisitions lointaines, les vieux états restent affaiblis pour la défense du foyer, ce sont des pères qui s’exténuent pour élever leurs enfans. Chacun voit ces périls, mais les deux courans sont irrésistibles, une main cachée nous y pousse ; ceux qui luttent sont emportés misérablement ; l’immense majorité s’y abandonne, les uns avec enthousiasme, les autres avec résignation, tous avec le sentiment d’obéir à un arrêt supérieur, pour notre salut ou pour notre perte.

Que fait l’église devant ces nouvelles directions des peuples ? Elle ne serait plus elle-même si elle y demeurait étrangère. Pour prouver qu’elle est éternelle, ses apologistes louent de préférence son immutabilité ; ils nous persuaderaient encore mieux en faisant valoir sa puissance de transformation. Fixe sur la doctrine, elle ploie avec une admirable souplesse son gouvernement et son action humaine à toutes les nécessites des temps ; on lui voit toujours l’habit et l’arme du siècle. Que de fois elle a changé d’aspect sans changer de maximes ! A peine apparue pour recueillir l’héritage de l’empire romain, elle s’adapte à l’organisme administratif auquel le monde avait coutume d’obéir ; c’est un des points les mieux élucidés par notre école historique, depuis quelques années, cette substitution insensible du pape à César, d’un moteur à un autre, dans la forte machine qui continue l’œuvre romaine. Elle est bien symbolique, cette statue de saint Pierre qui surmonte la colonne Trajane : la longue spirale des légionnaires, traînant les captifs barbares, vient aboutir au prince des apôtres ; il recueille le fruit des victoires impériales. Arrive le moyen âge féodal ; l’église se modèle sur le nouvel état social, elle prend l’humeur de cette rude époque ; ses prélats et parfois ses papes combattent à la tête de leurs vassaux, la mouvance du Latran fonctionne comme celle de la tour du Louvre. Avec