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Liège, comme à Avignon et à Rome. La sécularisation des états de l’église a naturellement suivi la sécularisation des évêchés ou des abbayes, partout achevée dès les premières années du siècle. » Cette façon de voir, difficile à faire accepter chez nous aux consciences catholiques, s’accorde dans la péninsule avec une conception du principat romain très ancienne, plus familiale peut-être, mais moins surhumaine que la nôtre. Pour ses voisins immédiats et pour ses sujets, le domaine de l’église n’a jamais en le caractère sacré, inviolable, que la piété lui prête au nord des Alpes. Tandis que nous négligions volontiers la nationalité de ce domaine pour ne considérer que le fief de Saint-Pierre, dérobé à toutes les vicissitudes politiques par une appropriation mystique, l’Italie voyait avant tout dans le patrimoine ecclésiastique une terre italienne, dans le prince des Romains un prince italien, au même titre que les autres. Jadis, Rome avait fait partie de la fédération guelfe, comme les principautés ou les républiques similaires ; depuis que la fédération s’est amalgamée en un seul état, cette province doit suivre le sort commun. L’Italie estime de bonne foi que son droit historique est absolu, supérieur au droit contingent des suzerains pontificaux.

Autre est l’erreur des radicaux français. S’ils, avaient le bonheur de tenir un pape prisonnier, ce serait moins le roi que le prêtre qu’ils poursuivraient de leur colère ; ils croiraient n’avoir rien fait en le dépossédant du temporel, leur passion continuerait à s’acharner contre le représentant du principe spirituel ; et ils prêtent leurs sentimens aux Italiens. Or, je ne vois rien de pareil chez ces derniers. Ils sont antipapistes, ils ne sont pas antipapistes. Ils ont accompli un acte politique qu’ils jugeaient nécessaire, mais ils ne le compliquent pas d’une croisade confessionnelle. A part quelques groupes avancés et la canaille de Rome, qui insulta les restes de Pie IX, les Italiens ne font guère ce qu’on appelle chez nous de l’anticléricalisme ; en tout cas, le gouvernement n’en fait pas, sauf par manière de représailles contre le Vatican, et la majorité du pays ne l’y pousse jamais. Bien au contraire, ce peuple fin et sensé comprend que la papauté est une de ses grandes forces et sa plus belle parure ; il cherche le moyen d’enchâsser ce diamant de famille dans le nouveau diadème, il serait désolé de le perdre ou d’en ternir l’éclat. On le vit bien aux craintes manifestées par le ministère royal en 1878, quand le conclave fit mine de vouloir émigrer. L’Italie et la papauté rappellent un de ces couples d’étoiles, faites des mêmes élémens et gravitant dans la même orbite, qui s’attirent et se repoussent longtemps avant de se souder l’une à l’autre.

Cette situation singulière assure au saint-siège de grands