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puissances comme des armées belligérantes. La Prusse et l’Autriche restaient campées en face l’une de l’autre, après avoir éprouvé leur impuissance, celle-ci à conquérir la Bohême, et celle-là à reprendre la Silésie. La fortune des combats prenait soin ainsi de confirmer et de consacrer le partage fait entre elles par le traité de Breslau. C’était, pour parler le langage des chancelleries, un uti possidetis, tout naturellement préparé. En restituant à Marie-Thérèse Fribourg et l’Autriche antérieure, nul doute qu’on eût obtenu d’elle de respecter la sécurité et l’intégrité de la Bavière. On aurait eu plus de peine, sans doute, à trouver quelque satisfaction en Italie pour l’ambition maternelle d’Elisabeth Farnèse ; et ni l’Angleterre, ni la Hollande n’auraient accepté sans murmurer une extension de notre frontière de Flandre, que les succès de la dernière campagne nous donnaient pourtant le droit d’exiger. Mais de telles difficultés se rencontrent au début de toutes les négociations et finissent toujours par être surmontées quand ceux qui sont chargés de les résoudre savent apporter, à l’appui du droit et de l’intérêt commun, un suffisant degré d’adresse et de fermeté. Depuis le commencement du siècle, on avait vu à plusieurs reprises des complications bien plus graves dénouées par l’habileté des diplomates. Il n’était pas même nécessaire, pour trouver de tels exemples, de remonter jusqu’au souvenir des négociateurs d’Utrecht qui, à travers le feu des passions les plus ardentes et le jeu des intérêts les plus complexes, avaient pourtant su renouveler, par une série de transactions équitables, toute la répartition des territoires en Europe. Il suffisait de se rappeler la paix beaucoup plus modeste conclue dix années auparavant, après la guerre de la succession de Pologne, et qui avait assuré la Lorraine à la France ; ce souvenir, qui honorait la mémoire de Fleury, n’était pas fait pour décourager ses successeurs.

Si, cependant, le roi de France et ses conseillers, au lieu de suivre les avis de la raison, de la politique et même de l’humanité, n’écoutaient que le faux point d’honneur qui pouvait les détourner de reconnaître leur erreur, — s’ils persistaient à vouloir continuer ou plutôt renouveler la tentative que la mort, en se jouant, venait de mettre à néant ; — alors, un autre devoir bien plus sérieux encore leur était imposé : c’était d’envisager en face toutes les conséquences d’une résolution si hasardeuse pour les aborder ensuite avec fermeté. Pour en mesurer toute la gravité, il fallait commencer par se rappeler par quels efforts de courage, d’habileté et presque de génie, Belle-Isle était parvenu à déplacer pour un jour l’axe de l’empire germanique, et quels sacrifices d’hommes et d’argent il n’avait cessé de réclamer pour atteindre ce but, en se plaignant