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presque assurées, offrir la paix par des moyens si sincères est le trait d’un héros et d’un législateur[1]. »

Pour faire contraste avec de si hautes considérations, je puis encore citer une autre lettre, celle-là tout intime, pleine de cette sensibilité un peu romanesque qui se mêle, chez les hommes du Nord, même aux affections de famille. C’est Lowendal qui écrit à sa femme : — « Je suis jaloux, ma chère Isabelska, du roi mon maître, de ce qu’il a pu écrire à sa femme sur un tambour, en plein champ de bataille, de la victoire que nous venons de remporter sur les ennemis. Je ne le fais qu’au retour dans ma cellule. Le bon Dieu te conserve ton Waldemar, mais que ne lui dois-je pas ? La bataille était perdue, tout le monde fuyait, le bon Dieu m’a inspiré de me mettre à la tête de la brigade irlandaise et des gardes françaises que j’avais ralliés : nous avons pris l’ennemi en flanc ; je le renverse et le pousse au-delà du champ de bataille. Le roi et le dauphin m’ont comblé de distinctions sur le champ de bataille. Je remercie la main de Dieu ; je voudrais me rendre plus digne de ma chère Isabelska. J’embrasse les enfans. — P. S. Ne vante point ce que mon devoir m’a fait faire, attends que les autres le disent. » — Il cède ici la plume à son secrétaire, qui ajoute : « M, le maréchal de Saxe a dit hautement que le roi devait cette victoire au comte de Lowendal et à la brigade des Irlandais ; ce sont ses propres termes[2]. »

Voici enfin quelques lignes tracées d’une main presque enfantine et qui m’ont, je le confesse, touché plus que tout le reste. Tout le monde connaît la représentation brillante et animée faite par Horace Vernet de la bataille de Fontenoy, et qui figure dans la galerie historique de Versailles. On se rappelle quelle disposition originale le peintre a donnée à son tableau. Il ne s’est soucié de reproduire aucun des incidens dramatiques de la lutte, et n’a mis en scène aucun des personnages importans qui y prirent part. On ne voit ni Maurice porté dans son berceau d’osier, ni Richelieu pointant les quatre canons qui vont trouer la colonne anglaise. Non, la bataille est gagnée : c’est le moment où Louis XV parcourt les rangs en recevant les hommages de ses soldats. Mais sur le devant de la scène est placé un groupe charmant qui attire, plus que la personne du roi lui-même, les regards du spectateur et reste gravé dans sa

  1. D’Argenson à La Ville, 13-16 mai 1745. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Lowendal à sa femme, 11 mai 1745, à huit heures du soir. (Ministère de la guerre.) — La comtesse de Lowendal était la seconde femme du comte. Il l’avait enlevée à son premier mari, lui-même étant déjà marié, puis divorcé dans son pays.