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décideraient le souverain à se retirer sur la rive gauche pour attendre l’événement, avait-il prescrit aux gardes du corps de ne pas se presser de le suivre de l’autre côté du pont ; mais dès que le roi eut connaissance de cet ordre : — « Qu’ils passent sur-le-champ avec moi, dit-il, car, une fois le pont passé, à coup sûr je ne le repasserai pas[1]. » — Un air de joie était toujours peint sur son visage ; ses yeux brillaient d’un feu inaccoutumé. — « Jamais, se plaisait-il à répéter, depuis Poitiers, un roi de France n’a regardé les Anglais en face : il faut espérer que cette fois tout se passera mieux. »

L’attaque prévue ne se fît pas longtemps attendre. Cumberland, arrivé dès la veille au soir, s’était rendu compte, avec une grande justesse de coup d’œil, des dispositions auxquelles il avait affaire, et avait arrêté les siennes en conséquence. On dit que Königseck, qui l’accompagnait, un peu effrayé d’avoir à pénétrer une si redoutable barrière de fer et de feu, lui donna le conseil de ne pas engager l’action, mais de se borner à tenir les Français en échec et sous les armes, en profitant de ce qu’ils ne pouvaient sortir de leurs lignes sans dégarnir le siège de Tournay. On pouvait, croyait-il, leur tuer assez de monde par des escarmouches et une canonnade continue pour les obliger d’emprunter des renforts à leur armée de siège, ce qui donnerait à la garnison de la ville la facilité de se débloquer elle-même. C’était, dit d’Espagnac, ce que redoutait le maréchal, parce que c’est ce qu’il aurait fait lui-même à la place du général anglais. Mais Cumberland, jeune, ardent, pressé d’agir et de vaincre, ne voulut point se prêter à un système de temporisation[2]. Distinguant très bien que les trois points d’appui de l’armée française étaient les défenses élevées à Anthoin, à Fontenoy et au bois de Barry, il résolut de diriger une triple attaque pour les enlever tous les trois d’un seul coup. Waldeck, avec les Hollandais, dut se présenter devant Anthoin ; lui-même, avec les Anglais et les Autrichiens devant Fontenoy, tandis qu’un de ses lieutenans, lord Ingoldsby, avec un corps de highlanders écossais, pénétrerait dans le bois de Barry pour s’en rendre maître.

Ces coups étaient bien portés, aucun d’eux pourtant ne réussit. Les Hollandais, les premiers à agir, furent presque immédiatement mis hors de combat ; ce qui les déconcerta complètement, ce fut qu’au feu qui partait d’Anthoin même se joignit, contre leur attente, celui des batteries situées de l’autre côté de l’Escaut, dont ils ne soupçonnaient pas l’existence et dont la portée se trouva suffisante pour les atteindre ; obligés de reculer une première fois, ils

  1. D’Espagnac, Histoire du maréchal de Saxe, t. II, p. 56.
  2. D’Espagnac, t. II, p. 60.