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ne le quittait ni jour ni nuit, et on l’avait choisi sachant le français, de manière que pas un mot ne fût perdu de tout ce que l’illustre captif pouvait dire, soit à son frère, soit à ses domestiques. Des fournisseurs de Londres, qu’il fit demander pour renouveler sa garde-robe fort endommagée par le voyage, durent se soumettre à être fouillés à l’entrée comme à la sortie. En revanche, on lui prodigua sous main tous les ménagemens qui pouvaient adoucir matériellement sa détention. Un crédit de 50 livres sterling par jour était alloué pour sa dépense et celle de ses gens.

La correspondance dans laquelle je lis ces détails affirme qu’en arrivant à Windsor Belle-Isle ne savait rien de ce qui s’était passé dans le monde depuis le 20 décembre, jour de son arrestation, et que la première faveur qu’il demanda fut d’avoir connaissance des papiers publics qui avaient paru à partir de cette date. Si le fait est vrai (et malgré la rareté et l’insuffisance des moyens de publicité d’alors, il paraît si peu croyable, que je ne voudrais pas le garantir), la première nouvelle qui dut frapper ses yeux fut celle de la mort du souverain qu’il avait placé sur le trône. Ainsi tout était dit, et c’en était fait de l’œuvre dont il attendait sa gloire.

Belle-Isle en captivité et Charles VII dans la tombe, la Bohême reconquise, la Bavière menacée, la dignité impériale de nouveau promise à l’ambition de Marie-Thérèse, que restait-il du grand dessein qui avait mis l’Europe en feu et coûté tant de sang à la France ? A peine un souvenir dans l’esprit de celui qui l’avait conçu, et qui s’en allait maintenant, condamné à l’impuissance et rongeant son frein, languir sur la terre étrangère. Jamais naufrage ne fut plus complet ; jamais erreur politique ne fut plus cruellement châtiée. Ceux qui remplaçaient Belle-Isle dans les conseils de la France sauraient-ils du moins profiter de la leçon[1] ?


II
La nuit du vingt au vingt et un,
Monsieur l’empereur est défunt.
Il est mort d’avoir rendu l’âme ;
Et, par ce coup du sort malin,
Veuve est restée sa pauvre femme,
Et monsieur son fils orphelin.
Savoir s’il a bien ou mal fait,
On en jugera par l’effet.
S’il donne la paix à la France,
Il ne peut qu’en être approuvé ;
Mais s’il nous remet en dépense,
C’est bien le tour d’un réprouvé.
  1. Journal de l’arrestation de Belle-Isle. (Correspondances diverses. — Ministère de la guerre.)