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qu’on le crut mort ; on ne lui donnait pas, dit Luynes, plus de quelques mois à vivre. Pouvait-il, dans de telles conditions, aller prendre son commandement ? Lui seul n’hésitait pas à le croire. Voltaire, le rencontrant qui se traînait péniblement dans une galerie de Versailles, lui demanda avec intérêt si son départ n’allait pas compromettre ses jours. — « Il ne s’agit pas de vivre, répondit-il d’un ton indifférent, mais de partir. » — Effectivement, une médication énergique lui ayant apporté quelque soulagement, il quitta Paris dans les premiers jours d’avril, avec son état-major. Mais telles étaient ses habitudes connues, et telle aussi la contagion de ses exemples sur tout ce qui l’entourait, qu’au dernier moment, dans le convoi qui l’emmenait, on trouva, nous dit un historien allemand, mêlée avec les chariots de bagages, une voiture où se cachaient des femmes d’une compagnie douteuse ; et le chirurgien qui l’accompagnait, trouvant cette société peu faite pour un malade, dut faire placer à chaque station une sentinelle de planton à la porte du général en chef, avec ordre d’arrêter toute visite suspecte[1].

Le rendez-vous des officiers chargés d’un commandement supérieur était à Valenciennes. Maurice y arriva le 15 avril ; mais le mal, un instant suspendu, avait repris son cours pendant le voyage, et une ponction fut jugée nécessaire : elle fut pratiquée le 18, à cinq heures du matin, et dégagea cinq pintes d’eau. Deux heures après, le patient était au travail et eut avec le maréchal-général des logis Cremille et son adjoint, le comte d’Espagnac, une conférence qui n’en dura pas moins de cinq. Nulle trace d’altération n’était visible sur son visage : pas un mot ne fut dit de l’opération, et on ne la connut que quelques jours après, par la diminution visible de l’enflure.

L’armée, composée de 190 bataillons de troupes régulières et 10 de milice, de 160 escadrons, ayant un équipage d’artillerie de 100 pièces de campagne et 27 de siège, en tout plus de 90,000 hommes, fut répartie en trois corps, embrassant les deux rives de l’Escaut dans un vaste demi-cercle dont la droite était à Maubeuge, le milieu à Valenciennes et l’extrémité gauche à Warneton, sur le territoire flamand. Puis un rapide mouvement de concentration dut être imprimé à tous ces corps pour se rapprocher de Tournay, en amont et en aval du fleuve, afin d’opérer l’investissement de cette place, que sa position sur l’Escaut et les excellentes fortifications dont Vauban l’avait munie rendaient très

  1. Luynes, t. VI, p. 408. — Voltaire, Siècle de Louis XV. — Weber, Moritz Graf von Sachsen. — Le dernier détail, qui ne se trouve dans aucune biographie française, a dû être emprunté par Weber aux dépêches du comte de Loos, ministre de Saxe à Paris.