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pour les nouveautés de marque et de plaisir. » — Et quelques jours après, le lendemain de l’arrivée de la princesse : — « Les habitans de notre ville, de tout état, qualité et condition, ont été furieusement en mouvement. Hier, lundi matin, le chemin de Paris à Sceaux était rempli de carrosses pour voir arriver et souper la princesse, surtout de ceux qui n’avaient point de facilité pour voir les fêtes de Versailles, où une chambre, dit-on, vaut 150 livres pour les trois jours. On a beau crier misère, le public trouve toujours de l’argent pour fêtes et plaisirs. » — Et, en effet, à partir de ce jour et pendant les trois mois qui suivirent, les écrits contemporains ne sont pleins que des récits de fêtes intimes ou publiques, de l’éclat des costumes des bals parés de Versailles et du faste des décorations dans les solennités plus largement ouvertes à la foule de l’Hôtel de Ville. C’est entre la cour et la ville une rivalité de démonstrations joyeuses et une émulation de folles prodigalités[1].

On ne réussissait même pas toujours à satisfaire les exigences du public : le prévôt des marchands était accusé de mettre trop d’économie dans ses illuminations, et les divertissemens de Versailles n’étaient pas toujours trouvés suffisamment récréatifs. Pour ceux-là, cependant, on en avait confié le soin à un maître qui devait s’y connaître, car ce n’était autre que Voltaire lui-même, parvenu cette fois au comble de la faveur, désormais admis dans toutes les confidences, initié à la politique par d’Argenson, a toutes les intrigues de cour par Richelieu, et qui, au moment même où on le chargeait d’écrire (comme je l’ai dit), au nom de Louis XV, à la tsarine Elisabeth, recevait l’ordre de préparer une représentation de gala avec intermèdes de chants et de ballets. Ce devait être une pièce de circonstance, s’inspirant de toutes les impressions du moment, à la fois un chant de guerre et un épithalame, destiné à célébrer, avec les réjouissances présentes de la noce royale, les espérances prochaines de la victoire. Cette commission imposait à Voltaire le devoir de rester à Versailles en permanence, dans une retraite assez douce dont il peignait pourtant en confidence les ennuis à ses amis : — « Ne plaignez-vous point, leur écrivait-il, un pauvre diable qui est bouffon du roi à cinquante ans, et qui est plus embarrassé avec les musiciens, les décorateurs, les comédiens et les comédiennes, les chanteurs et les danseurs, que ne le seront les huit ou neuf électeurs pour faire un césar allemand ? Je cours de Paris à Versailles, je fais des vers en chaise de poste. Il faut louer le roi hautement, Madame la dauphine finement, la famille royale doucement, contenter la cour, ne pas déplaire à la ville… Je brave ici la fortune dans son

  1. Barbier et Luynes, février et mars 1745, passim.