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déplaise, sa clairvoyance fut en défaut. Il ne se doutait pas qu’il venait de travailler pour le roi de Prusse et de lui donner deux provinces.

M. de Beust a consacré plus d’une page de son livre à réhabiliter l’ancienne Confédération germanique, à la défendre contre d’injustes persiflages, à prouver qu’elle valait mieux que sa réputation, qu’elle a procuré à l’Allemagne de longues années de paix et de prospérité, qu’elle était une admirable institution de secours mutuels contre l’invasion étrangère et contre les désordres intérieurs, qu’au lieu de la détruire, il fallait l’amender, la réformer, la rendre plus agréable aux peuples en leur donnant voix au chapitre, en créant un parlement composé des délégués de toutes les chambres électives. Mais il n’a pas prouvé que cette réforme fût possible, que le projet qu’il présenta en 1861 ne fût pas une vaine utopie. — « Comment peut-on transformer le Bund ? disait le prince Wittgenstein. Quand on ôte sa bosse à un bossu, il en meurt. »

M. de Beust mérite plus de créance quand il affirme que dans ses inutiles tentatives pour établir un accord entre les états moyens et les décider à témoigner par leur entente de la communauté de leurs intérêts, il s’inspirait du plus grand bien de l’Allemagne, qu’il ne songeait qu’à la fortifier, et qu’à Dresde on avait le cœur plus allemand qu’à Berlin. Ceux qui l’accusaient de nouer des intrigues avec l’étranger le chargeaient de leurs propres iniquités ; les larrons ont toujours crié au voleur, et dans tous les temps les hommes d’état sans scrupules ont édifié le monde par leurs indignations vertueuses. M. de Beust n’aimait guère la France, il se défiait beaucoup de la politique napoléonienne ; il n’a pas tenu à lui que dès le début de la guerre d’Italie, l’Allemagne n’épousât les intérêts de l’Autriche et ne plaçât un corps d’observation sur le Rhin. — « Vous venez en ennemi, » lui disait l’empereur Napoléon III en recevant sa visite le 23 avril 1859, et il disait plus vrai qu’il ne pensait. Nous avons cru trop longtemps que les petits souverains allemands et leurs ministres ressentaient pour nous une irrésistible sympathie : nous nous persuadons si facilement qu’on nous aime ! M. de Beust nous apprend qu’en 1859 les Bavarois nous voulaient mal de mort, que la haine du Français, ein unbezähmter Fransosenhass, s’était répandue de proche en proche à Munich comme une fièvre contagieuse. Il nous apprend aussi qu’à cette époque il eut à Carlsruhe une conférence avec le premier ministre du grand-duché de Hesse, M. Dalwigk, qui était accusé à Berlin d’avoir pour nous de criminelles tendresses : « Mon collègue de Darmstadt, qui était d’ailleurs un homme circonspect, prêchait la croisade contre les Français avec une virulence sans pareille, et le succès ne lui en semblait pas douteux. Peu s’en fallait qu’il ne me trouvât trop modéré. Quant