Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les pierres qui détonne, sans raison, sur l’harmonie calme et grise de l’ensemble. Les figures qui marchent ne sont pas non plus très bien liées entre elles, et les visages, précisés avec une intensité surprenante, se fussent mieux trouvés peut-être d’une intensité proportionnelle de rendu dans les objets environnans. Quoi qu’il en soit, ces figures sont d’une vérité admirable. Ces quelques visages de Bretons et Bretonnes, choisis parmi les types les plus caractéristiques avec un tact remarquable de peintre, de poète, d’historien, ont une franchise et une profondeur d’expression tout à fait supérieures. Toute la vieille Bretagne, la Bretagne héroïque et naïve, fanatique et charmante, sauvage et douce, revit dans ces quelques physionomies, d’une exactitude saisissante, qui perpétuent, avec une fidélité singulière, au physique comme au moral, les traditions des races anciennes et des vertus oubliées. Chez M. Dagnan, comme chez M. Breton, c’est l’analyse approfondie de l’impression naturelle, c’est l’étude et la conscience jointes à une connaissance longue et sérieuse des sujets qui produit la perfection de l’œuvre, en agrandit l’effet, en assure la durée ; aussi sont-ils de ceux que nous pouvons glorieusement opposer, sur ce terrain, aux peintres étrangers, qui, nous devons le reconnaître, lorsqu’il s’agit de scènes familières et rustiques, y apportent souvent une conviction plus naïve, un sentiment plus simple, une création plus profonde que la plupart de nos peintres parisiens, trop souvent paysans d’occasion et de mode plutôt que d’habitudes et de goûts. Ceux qui ont examiné avec attention les ouvrages de MM. Kuehl, Liebermann, Skresdig, Artz, Kroyer, etc., comprendront ce que nous voulons dire.


V

Si nous voulions reproduire la physionomie complète du Salon, il nous faudrait encore parcourir de nombreuses séries de peintures militaires et de peintures mondaines où l’on trouve souvent de l’ingéniosité dans l’observation et de l’esprit dans la mise en scène. Là aussi l’influence des idées courantes s’exerce utilement pour imposer plus de liberté dans le choix et dans l’arrangement des sujets, plus de vérité dans les figures, plus de fraîcheur dans les colorations ; mais là aussi la victoire reste à ceux qui joignent à ce vif sentiment de la réalité les traditions des bonnes études, de la conception réfléchie, des patiens achèvemens. Les meilleurs tableaux de la vie militaire sont une Bataille de Reischoffen, en petite dimension, par M. Morot, destinée à la salle d’honneur du 3e régiment de cuirassiers, où l’impétueuse mêlée des hommes et