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boueuse, à travers les embarras de toute sorte, cacolets versés, chevaux tombés, fondrières ouvertes, dans la brume grisâtre du matin, vers les collines lointaines où l’appelle la bataille, est poussée en avant avec une vigueur et une décision rares. Le fond de paysage, solidement établi, est un des morceaux les mieux réussis qu’on ait jamais peints dans l’école. Si M. Roll faiblit quelquefois dans les dessous de ses figures, il excelle d’ailleurs dans l’indication vigoureuse et sommaire de leurs attitudes, de leurs mouvemens, de leurs expressions. Il sait très bien faire parler, non-seulement le visage, mais surtout l’allure générale de ses acteurs. L’officier à cheval, enveloppé dans son caban, le paysan en blouse blanche qui lui sert de guide, tous deux vus de dos, ont une expression d’une vérité saisissante, non moins que tous ces braves fantassins, si naïvement affairés, si gauchement héroïques, qui pataugent, chargés de leur fourniment, dans les mottes de terre gluantes. C’est vu avec conscience, avec simplicité, avec cœur. La Guerre prouve une fois de plus que M. Roll joint l’âme vibrante d’un artiste à l’œil sensible d’un peintre.

M. Gervex a toute la désinvolture, tout l’éclat, toute la liberté qui font parfois défaut à M. Roll. Il joue de la couleur avec une dextérité subtile et séduisante, il se sert souvent de la lumière avec une témérité heureuse. Ce n’est point, ce semble, un contemplatif lent et grave, un peu triste, comme M. Roll, mais c’est un peintre alerte et avisé, aimant la vie, la comprenant, la faisant comprendre, et l’exprimant de prime-saut avec l’aisance d’un habile improvisateur. Il ne va guère peut-être au-delà des apparences, mais il rend ces apparences avec éclat. C’est lui qui ouvre au Salon la série de ces scènes médicales et chirurgicales, ingénieux prétextes pour grouper, dans une salle d’étude, autour d’individualités célèbres, d’autres individualités qui désirent l’être. Ces réunions de savans, au-dessus desquelles plane toujours le souvenir de la Leçon d’anatomie, ont été remises en honneur, il y a une vingtaine d’années, par M. Feyen-Perrin lorsqu’il représenta, dans la salle des internes, à la Charité, le docteur Velpeau au milieu de ses élèves. L’opération, cette fois, est faite dans une salle de l’hôpital Saint-Louis. Le docteur Péan, ayant devant lui, couchée, une jeune femme à moitié nue, explique à quelques-uns de ses élèves ou confrères sa découverte du pincement des vaisseaux. Ce qui caractérise l’œuvre de M. Gervex, comme les œuvres du même genre faites d’après les purs principes de l’école nouvelle, c’est l’affectation, par opposition avec Rembrandt et les Hollandais, de n’intervenir personnellement en aucune façon ni dans l’éclairage de la salle, ni dans la disposition des figures, ni dans le groupement des accessoires, c’est de rester, en un mot, le pur